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Critique

Bon matin Chuck (ou l’art de réduire les méfaits) : La dépendance n’aura jamais été si grinçante

Bon matin Chuck (ou l'art de réduire les méfaits)

On ne s’attendait certes pas à un téléroman de cuisine avec des décors en carton pour la nouvelle offrande de Jean-François Rivard, réalisateur des ovnis les plus décalés de la télévision québécoise (Les Invincibles, Série noire, C’est comme ça que je t’aime). Bon matin Chuck (ou l’art de réduire les méfaits) s’inscrit dans la même veine singulière, qui nous laisse dans un état aussi perplexe qu’enthousiaste. Les deux premiers épisodes (de 10) jaugés mercredi, on se demande un peu où cette galère s’en ira, mais on a certainement le goût de s’y rendre pour l’apprendre. Rendez-vous sur Crave mercredi prochain, 24 mai.

On comprend d’emblée qu’on n’aura pas affaire aux Dames de coeur quand on constate que tout Bon matin Chuck est en noir et blanc. Pourquoi? Pour plein de raisons et pour aucune raison, ont expliqué aux journalistes les deux cinéastes, Rivard et son acolyte Mathieu Cyr, qui ont eu « carte noire et blanche » de la part de Crave. Parce qu’ils « le sentaient comme ça ». La série traite de dépendance sous toutes ses formes, et la coloration à l’écran traduit autant le filtre qui voile le regard des personnages sur leur monde que leur égalité devant la souffrance. Aucun n’est plus flamboyant qu’un autre devant la cocaïne, le fentanyl ou le brandy.

Bon matin Chuck est l’idée du comédien Nicolas Pinson, vu un peu partout, dans Indéfendable comme dans Hôtel, qui tient assurément ici le rôle de sa vie. Lui-même jadis toxicomane, l’acteur s’est soumis à une décennie de thérapie et a bien constaté les réactions à mi-chemin entre pleurs et rires qu’il déclenchait avec ses anecdotes d’excès à son entourage. À partir de sa volonté de déstigmatiser la problématique de la dépendance, il a scénarisé son univers sur papier avec Jean-François Rivard, Émilie Lemay-Perreault, Patrick Dupuis et Sarianne Cormier.

Le résultat est flyé, un brin scato mais sensible, ne prend pas le téléspectateur par la main et ne s’apparente à aucune œuvre cinématographique précise, même si on ressent bien les influences culturelles monumentales des créateurs dans Bon matin Chuck. On rit jaune et grinçant, on sera aussi rapidement touchés et, comme toujours chez Rivard, on patauge parfois dans le malaise le plus total devant le déni du protagoniste. Fait important, on a beau parler de la déchéance d’une grande vedette de la télévision, il n’est pas ici question d’une critique de la colonie artistique. Vous n’y reconnaitrez ni Maripier Morin, ni Éric Salvail. C’est l’addiction qui nous intéresse, le besoin d’être aimé au risque de s’y perdre.

Sans préambule particulier, Charles « Chuck » Bélanger (Nicolas Pinson lui-même) fonce droit dans le mur aux toutes premières minutes de l’histoire qui porte son nom. On ne nous explique pas avec moult détails qu’il est une sorte de Gino Chouinard, gentil animateur du talk-show matinal Bon matin, un café?, une idole à la notoriété si élevée que sa seule humeur dicte celle de tout le Québec. On le comprend en filigrane aux premières minutes de son désastre.

Notre Chuck, qui tient même sa propre gamme de sauces à spaghetti, est loin d’être un ange, en privé. Attendez de voir dans quelle position il se trouve à 6 h 05 un bon lundi matin… Ce n’est pas particulièrement chic. « On vient de perdre le show, Toyota puis le Bye Bye », lui résumera son agente, Lucie (Marilyn Castonguay) pour détailler sa perte de contrats successive après son arrestation médiatisée, conclue au corps défendant d’un policier trop fan du fautif. Même la mère de Chuck ne voudra pas l’accueillir chez elle après les événements.

L’envoi d’un communiqué de presse rempli de phrases toutes faites ne suffira pas à calmer les esprits; Chuck, bien décidé à ne pas admettre son problème et surtout à ne s’imposer aucun réel traitement, simulera la cure de désintox, terré dans son appartement pour sauver les apparences. Mais de se buter à l’indifférence d’Emma (Nathalie Doummar), son amoureuse qui ne répond plus à ses messages, et d’avoir vu sa carrière lui filer entre les doigts ne suffira pas à notre malheureux pour véritablement calmer son penchant pour le « sucre en poudre ».

Sa seule porte de sortie : l’insistance de la propriétaire d’une maison de rétablissement, Marie Chagnon (Chantal Fontaine), qui l’invite à jouer le jeu en séjournant dans son établissement en déroute, La Maison L’Aube, à Sherbrooke, en échange de visibilité. Chuck considérera de haut ses nouveaux colocataires, aussi poqués que lui, incarnés avec brio par Amélie B. Simard, Sylvain Marcel, Claire Jacques et autres. On sent que chacun brillera à son moment, Claire Jacques, dans la peau d’une alcoolique, personnifiant admirablement la parenthèse psychotique à la fin de la deuxième heure.

Bernard Fortin (Gilles, l’intervenant) Danielle Ouimet (une voisine bienveillante) et Yves Corbeil sont également de cette distribution minutieusement choisie.

Sélectionnée en compétition officielle au festival Canneseries, en France, en avril, Bon matin Chuck (ou l’art de réduire les méfaits), production de St-Laurent TV, sera déposée au compte-gouttes sur Crave (deux épisodes le 24 mai, deux autres le 31, et un à la fois les mercredis suivants). La fin s’ouvrira, semble-t-il, sur une potentielle suite…