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Tout ce qu’il faut savoir sur la série Mégantic

La série Mégantic

Raconter la tragédie ferroviaire de Lac-Mégantic constituait une entreprise colossale, sur tous les plans : humains, techniques, financiers, etc.

À la pression de ne pas décevoir, scandaliser ou heurter la population de l’endroit qui a subi le drame le 6 juillet 2013, s’ajoutait la nécessité de livrer un produit télévisuel à la hauteur, digne tant de l’événement comme tel que des standards attendus pour une telle mégaproduction au petit écran. Un défi qui a nécessité plus de cinq années de travail (en pleine pandémie, et en zone rouge par dessus le marché!) pour le scénariste Sylvain Guy, le réalisateur Alexis Durand Brault – qui produit aussi la série avec Sophie Lorain, Antonello Cozzolino et leur boîte ALSO – et l’équipe de Québecor Contenu.

« On savait que c’allait être complexe et difficile. C’est une structure qui est très demandante, avec une grosse équipe, beaucoup d’artisans. Mais on ne savait pas à quoi on allait se confronter tous les jours », a d’ailleurs mentionné Sophie Lorain en visionnement de presse, la semaine dernière.

Maintenant disponible sur Club illico, 10 ans après les faits – une commémoration relevant essentiellement de la coïncidence, surtout due aux nombreux délais de production – la série (lisez nos impressions ici) déjà fort médiatisée sera l’objet d’une discussion à Tout le monde en parle ce dimanche. D’ici là, voici, en rafale, quelques informations pertinentes à savoir sur ce projet qui, à n’en pas douter, marquera les annales de la télé d’ici.

La genèse de la série

L’idée de faire une série sur la plus grande tragédie ferroviaire au Canada est venue d’une visite du producteur Antonello Cozzolino à Lac-Mégantic, qui y a bien sûr entendu parler de l’événement par les résidents de la municipalité.

« Il a dit que ça serait peut-être une bonne idée de faire une série. Il m’en a parlé, mais j’étais réticent. Puis, une personne de Mégantic m’a téléphoné. On a discuté, et elle m’a dit : "Viens rencontrer les gens, tu vas voir l’accueil qu’on va te réserver, et si c’est bon, tu décideras de faire la série". C’est à travers l’histoire des gens que j’ai fini par dire oui », a raconté le scénariste Sylvain Guy, qui a séjourné une semaine à Lac-Mégantic pour recueillir des témoignages, qu’il allait ensuite retravailler pour y insérer des éléments fictifs et quelques modifications, et qui allaient déboucher sur huit épisodes, huit « mini films », chacun centré sur une famille ou un personnage, qu’on suit avant, pendant et après le drame.

Les lieux de tournage

Les premiers tournages de Mégantic (à l’été 2021) ont eu lieu à Lac-Mégantic même, avec les habitants des lieux qui ont joué les figurants dans les scènes d’église. C’est également là-bas qu’ont été filmées les images au bord du lac et à la caserne de pompiers.

En revanche, ce qui, dans l’émission, s’avère la rue principale de Lac-Mégantic, ainsi que la reproduction de la devanture du Musi-Café (qui fut réellement l’épicentre du drame en 2013), ont été érigés à Ormstown, en Montérégie.

Aux dires d’Alexis Durand Brault, en regardant les épisodes – deux visionnements privés avaient été organisés pour eux lundi dernier, chez eux – les gens de Lac-Mégantic étaient heureux de retrouver leur centre-ville d’avant. « Les gens étaient fiers. Ils pleuraient, mais ils étaient contents. »

Un train venu de loin

On ne soupçonne pas la quantité d’éléments à considérer, à acheter, à recréer, à ne pas oublier, dans une aventure comme Mégantic. Simplement de faire venir un train de l’étranger fut, semble-t-il, toute une épopée pour l’équipe. « J’ai signé un chèque assez onéreux pour acheter des wagons », a informé Sophie Lorain.

« Et, un coup que tu les a achetés, fais-les livrer! », a renchéri Alexis Durand Brault, presque encore incrédule. « Déplace-les, monte-les et passe-les aux douanes! À tous les jours, on me disait que le train était rendu à Baltimore, puis à Buffalo, puis dans le Kentucky... »

Et impossible de réutiliser lesdits wagons par la suite… « À l’intérieur, il y avait une couche de plexiglas, que nous, il a fallu enlever, parce qu’on allait mettre des barres à feu et des effets pyrotechniques. Alors, les wagons étaient devenus inutilisables. Il a fallu faire venir une compagnie chinoise qui les a broyés et revendus en Chine », a résumé le réalisateur, évoquant un manque d’acier dans ce pays.

Des récits humains

Les artisans d’ALSO avaient à coeur de créer une œuvre d’abord centrée sur les récits humains.

« Mégantic, pour la majorité de la population au Québec et dans le reste du monde, c’est le gros champignon qu’on a vu exploser à la télévision, aux nouvelles. Mais, en dessous de ce champignon-là, il y avait du monde, des récits beaucoup plus intimes, un petit quotidien qui, tout à coup, nous a échappé, à cause du "spectacle", des images, de tout ce qui était très visuel », a dépeint Sophie Lorain. « Quand on a commencé à parler à ces gens-là, ils ont senti le besoin de communiquer ce qu’il y avait en dessous, à l’intérieur d’eux. On avait vu le contenant, maintenant, on pouvait montrer le contenu. »

Sylvain Guy, Alexis Durand-Brault, Sophie Lorain et Antonello Cozzolino ont des anecdotes à la tonne à relater sur le besoin des gens de Mégantic de s’exprimer, de raconter leur vécu. Alexis Durand-Brault cite notamment les frères Lafontaine (Vincent et Daniel Lamarre dans la série, incarnés par Bruno Marcil et Éric Robidoux), des « gars de construction » qui, en larmes, l’ont supplié de bien faire vivre leur histoire. La « vraie » Julie (interprétée par Isabelle Guérard), membre du clan Lafontaine, célébrait véritablement ses 40 ans et la fête a réellement tourné au vinaigre le soir fatidique. Il y a aussi bel et bien une jeune chanteuse qui courait les concours à la Mixmania et Star Académie et qui a laissé sa vie dans le feu, jouée dans la fiction par Lauren Hartley.

Sylvain Guy, lui, gardera en mémoire les mots d’une femme qui a perdu son fils, un pompier volontaire, non pas dans le brasier de l’accident ferroviaire, mais par la suite, en conséquence des événements. « C’était sa première sortie de pompier, ce soir-là. Il a vu brûler une fille avec qui il était sorti. Et lui s’est suicidé. Cette femme m’a rencontré, et elle était tannée d’entendre dire qu’il y avait 47 victimes à Mégantic. On oubliait toujours son fils quand on parlait des victimes! Elle, elle racontait son histoire et a demandé à ce qu’il ait son épisode, à ce qu’on se rappelle de lui aussi », a détaillé l’auteur, en spécifiant que la façon de s’enlever la vie de ce personnage alter ego, Bryan (Joakim Robillard), n’est pas la même que dans la vie.

« J’aurais beau tourner "Jurassic Park 8", je ne pense pas que je vais arriver à toper ce genre d’affaire-là », a sifflé Alexis Durand-Brault, pour expliquer combien le projet Mégantic l’a transformé.

Dans un souci de réalisme, celui-ci a même utilisé les images filmées par un pompier qui, pendant la nuit maudite, avait une caméra GoPro vissée à son casque. Du lot, les scènes où on voit des pompiers coincés dans le feu tenter de se protéger avec un mur d’eau du lac, aux épisodes 2 et 4, sont calquées sur ces images.

Un budget impressionnant

La production ne chiffre pas le montant du budget qui a été alloué à Mégantic, mais on comprend que celui-ci est colossal, nettement supérieur aux cagnottes habituellement dédiées aux séries québécoises. Québecor Contenu a notamment sollicité une commandite de Vidéotron pour combler les besoins de ses ambitions.

« On n’a pas l’argent pour raconter nos histoires, au Québec. Si tu fais une série sur Mégantic, il faut que tu y ailles à fond. Un show comme ça, aux États-Unis, aurait huit fois [notre] argent. C’était un gros risque, une grosse histoire, impliquant du monde vivant. Il fallait se questionner sur la façon dont on abordait ça, comment on amenait ça en images. Le choix de ne pas prendre de grosses têtes d’affiche, comme Sophie Lorain ou Guylaine Tremblay, ça prend du front. Pour une fois qu’au Québec, on se donne les moyens de raconter notre histoire, je trouve ça fabuleux », s’est réjoui Alexis Durand-Brault.

« Pour moi, à l’écriture, il n’était pas question que je fasse un petit show de chaises; je voulais rendre hommage aux gens de Mégantic. Je ne me suis pas tellement posé de questions au niveau budgétaire, je me disais que j’écrivais ce que je voulais. J’ai vraiment été soutenu par les producteurs. On s’est rencontrés dans notre ambition, par rapport à ce projet-là. Et les gens chez Québecor ont suivi. J’ai été agréablement surpris en voyant le budget », a continué Sylvain Guy.

L’entreprise a également nécessité beaucoup de patience, puisqu’à elle seule, la post-production des huit épisodes a duré un an. Les effets spéciaux, effets mécaniques, le feu (souvent vrai!), les explosions (souvent vraies aussi!) ont été mitonnés par des professionnels du cinéma habitués de bosser sur de grosses productions américaines.

De rigoureuses mesures de précaution

Une panoplie de recommandations avaient été émises par la Direction de la Santé publique de l’Estrie afin de protéger les citoyens qui pourraient être vulnérables à l’écoute de Mégantic : cesser le visionnage si on ressent un malaise, éviter de regarder les épisodes avant d’aller dormir, les regarder dans un environnement calme et rassurant, lire les résumés, etc.

À l’écran, un code a été établi, et transmis aux survivants de la tragédie : l’image d’un verre d’eau qui tremble annonce la venue de scènes difficiles à regarder, ce qui permet d’arrêter tout de suite le visionnement si on souhaite éviter d’y être exposé.

Dès le début, ALSO et Québecor Contenu s’imposaient un souci de sensibilité et de délicatesse envers la population de Lac-Mégantic. Des séances de questions-réponses ont suivi les visionnements de groupe locaux de lundi dernier, mais peu de questions y ont apparemment été posées; les gens avaient surtout besoin de parler, ont réitéré Sylvain Guy, Alexis Durand-Brault et Sophie Lorain, qui étaient eux-mêmes pétrifiés de nervosité avant d’aller présenter le résultat aux Méganticois.

« On était très fébriles. On a le désir de bien faire », a soulevé Sophie Lorain. « J’avais une boule dans l’estomac, mais j’ai ensuite ressenti un soulagement profond », a ajouté Sylvain Guy.

Pas d’aspect politique

La mairesse Colette Roy-Laroche, en poste au moment du drame, n’a pas de vis-à-vis dans la série, tout simplement parce qu’on voulait éviter toute question ou connotation politique. Québecor Contenu a précisé qu’un documentaire de Philippe Falardeau viendra plus tard sur l’une des plateformes de Québecor et abordera tout l’aspect politique de la tragédie et la poursuite qui en a découlé. Les créateurs de Mégantic, eux, ne voulaient pas aller dans cette direction.

« Ça aurait divisé la ville », a noté Alexis Durand-Brault.

« Ce qui nous intéressait vraiment, d’abord et avant tout, c’est le matériau humain. Alexis et moi, on fait de la fiction, de la dramatique, on ne fait pas de documentaires, du moins, pas jusqu’à présent. Il aurait fallu se lancer dans une autre recherche, une autre aventure, qui aurait débordé », a répondu Sophie Lorain, en arguant que même l’épisode consacré au conducteur de la locomotive (rebaptisé Tim Richards au lieu de Tom Harding, et personnifié par Duane Murray) demeure collé sur les événements et ne recèle aucun jugement.

Un rayonnement international?

Les troupes de Mégantic ont appris en cours de production que des Américains avaient demandé des images de la tragédie et que des producteurs de Toronto planchaient eux aussi sur une transposition au cinéma ou à la télé. Preuve non seulement qu’il était temps d’aller de l’avant avec le projet, pour que les Québécois puissent raconter eux-mêmes leur histoire… mais aussi qu’il y aurait du potentiel à vendre les droits de Mégantic à l’échelle internationale.

« Au départ, ce projet-là est fait pour ici. Mais l’histoire a fait le tour du monde, et il y a un symbole de courage là-dedans. Si ça peut aider d’autres communautés à voir la solidarité d’un peuple, d’une communauté, effectivement, il y aura des efforts pour exporter notre talent », a laissé savoir Denis Dubois, vice-président, contenus originaux, chez Québecor Contenu.

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