Publicité
Critique

Mégantic : Une série aussi sensible que spectaculaire

La série Mégantic

Oui, le sujet de la tragédie de Lac-Mégantic était délicat et il fallait prendre mille précautions en le portant à l’écran. Non, il ne fallait pas raviver des plaies encore douloureuses chez les survivants et leurs proches. Évidemment que cette histoire vraie comporte de multiples ramifications, certaines politiques, et qu’il fallait trier ce qui devait être montré, ou pas. Et bien sûr qu’il fallait offrir un produit télévisuel à la hauteur, digne de sa raison d’être, tant télévisuellement qu’humainement.

Mais les devoirs ont été faits. Avec le plus grand des respects et, comme Sophie Lorain l’affirmait au Monde à l’envers vendredi dernier, avec énormément d’amour. Ce jeudi, 9 février, c’est une œuvre d’une immense beauté que les téléspectateurs découvriront en plongeant dans Mégantic, projet ultra-médiatisé de Club illico qui valait le tapage, et qui recrée avec soucieux doigté l’accident ferroviaire du 6 juillet 2013, ayant occasionné le plus grand déversement pétrolier terrestre en Amérique du Nord et causé la mort de 47 personnes dans une petite municipalité de plus ou moins 6000 âmes.

Parce que tout est à saluer dans cette entreprise colossale qui, a-t-on soulevé en visionnement de presse mardi, s’est avérée longue, très coûteuse, ardue (le tournage s’est déroulé en pandémie, avec masques et autres mesures sanitaires) et complexe (il a notamment fallu commander des trains de sept wagons ailleurs dans le monde) : les textes remplis de coeur du scénariste Sylvain Guy, qui a recueilli des dizaines de témoignages de Méganticois pour en tirer des récits fictifs, mais conformes à la réalité; la réalisation jamais brutale et tout en finesse d’Alexis Durand-Brault, mais qui n’a pas lésiné sur l’ampleur de l’horreur lorsque nécessaire; les décors, les effets spéciaux, le jeu des acteurs. Ce n’est pas de la flagornerie; les devoirs ont été faits, disions-nous, avec pudeur, considération et attention. En résulte un produit artistique de très haut niveau, qui devrait logiquement être décoré de plusieurs Gémeaux l’automne prochain.

Mégantic se condense donc en huit épisodes sensationnels – mais pas sensationnalistes – dans lesquels on a d’abord privilégié l’être humain. Dans chacune des heures, on suit une histoire (inspirée de faits réels, mais ici et là romancée, notamment pour protéger l'anonymat de certaines personnes) en particulier. Celle de Gabrielle (Lauren Hartley), une jeune chanteuse qui s’apprête à vivre sa première expérience professionnelle dans un studio montréalais et qui va passer une soirée au Musi-Café, le bar de l’endroit (qui fut l’épicentre du drame dans la réalité) avec Patrice (Olivier Gervais-Courchesne), son flirt du moment; celle de la famille Lamarre, les frères Vincent (Bruno Marcil) et Daniel (Éric Robidoux), et leur sœur Julie (Isabelle Guérard), dont le quarantième anniversaire tournera au vinaigre et emmènera certains membres du clan là où ils ne doivent pas être en ce soir fatidique; celle de Bryan (Joakim Robillard), un pompier volontaire, celle d’Annick (Julie Trépanier), une employée du Musi-Café que la providence a épargnée de justesse, celle de l’abbé Rémi (Simon Lacroix), qui présidera les funérailles des disparus, celle de Marie (Julie Ringuette), une policière sur le point de se marier entourée de tout son monde, et celle de Tim Richards (Duane Murray), conducteur de la locomotive maudite. Entre autres.

Tout au long de l’épisode, on nous raconte ces gens et leur vie avant que l’irréparable se produise. Et il y a l’entourage, ceux qui restent, qui témoignent, à la psychologue Claire (Nathalie Cavezzali) ou à un policier de la Sûreté du Québec (Blaise Tardif), évoquent leurs récents souvenirs et se questionnent sur le pourquoi de cet horrible revers du destin. Les retours en arrière sont bien dosés et toutes les scènes sont d’une justesse absolue. À peu près tous les personnages de Mégantic paraissent et se recroiseront dans les huit mini-films que sont les épisodes.

La force de Mégantic réside énormément dans sa capacité à nous faire ressentir les événements et les sentiments des protagonistes. On n’aura bien sûr pas la présomption de savoir ce qu’ont vécu les résidents de Lac-Mégantic cette fameuse nuit de juillet 2013 et de connaître la douleur qui les a affligés, mais on s’approprie momentanément le désarroi collectif en assistant à l’impuissance et l’incompréhension des proches qui errent dans la ville, paniqués, à la recherche des êtres chers qui manquent à l’appel. Au son du vacarme des explosions, en regardant le branle-bas, le chaos total qui secoue la rue principale en pleine nuit, le brasier qui enflamme le ciel, les nuages de flammes qui surplombent cris et détresse au sol, les bourrasques et marées de feu à l’horizon, la fumée noire, les décombres de voitures mutilées par la combustion, les pompiers qui tentent l’impossible à travers les citoyens apeurés, le train qui flambe et avance quand même, Vincent Lamarre (Bruno Marcil) qui tente de se frayer un chemin avec sa rétrocaveuse pour sauver sa femme.. Sans être traumatisantes, mais poignantes et troublantes, les images de Mégantic nous habitent longtemps après leur visionnement.

La série Mégantic est disponible sur Club illico à compter de ce jeudi, 9 février.

Mentionné dans cet article