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Critique

Du cinéma à la scène, Gaz Bar Blues émeut toujours autant

Gaz Bar Blues au Théâtre Duceppe

Le défi était audacieux autant que prometteur et il est relevé haut la main. En adaptant pour les planches Gaz Bar Blues, l’estimé film de Louis Bélanger, le Théâtre Duceppe s’assurait de piquer la curiosité du très grand nombre de cinéphiles émus par cette chronique familiale masculine de 2003, où une station-service à l’ancienne sert de prétexte à parler de valeurs précieuses : cet arrogant de temps qui file à notre insu, les générations qui s’entrechoquent, l’amour du père si difficile à exprimer.

Il fallait y penser, mais en admirant Gaz Bar Blues sur scène, il nous apparaît évident que cette histoire intemporelle avait le potentiel de se muer en pièce de théâtre. Notamment compte tenu de sa faune de personnages bigarrée et représentative d’un milieu presque ouvrier, rappelant le répertoire de Serge Boucher, par exemple, allant du petit bum au vieux sage. Des thématiques humaines et sociales sans date de péremption, un reflet d’une époque, des textes parlés si franc, une musicalité dans ce petit joual du quotidien : vraiment , tout y était. Mais fallait y penser!

Dans la relecture actuelle transposée par David Laurin (aussi codirecteur artistique chez Duceppe) et mise en scène par Édith Patenaude, on a ajouté une dimension musicale présente tout au long du spectacle, avec instruments occupant une large portion de la scène. Un choix tout à fait pertinent, puisque le personnage du rebelle Guy (Steven Lee Potvin / Danny Gilmore à la base) ambitionne une carrière à la rock star. Ce band de garage apporte un petit côté « sale » – typique d’un gaz bar! – à l’ensemble, et en souligne les moments d’émotion sans excès. La bande sonore est l’oeuvre de Mathieu Dézy.

Puis, le plus jeune enfant de la famille, interprété par Maxime Dumontier à la caméra, a été changé pour un protagoniste féminin, Danielle, jouée par Miryam Amrouche. Une modification qui ne change pas le cours du récit, mais qui rafraîchit, « met à jour » le produit d’une belle façon.

Au coeur de ce blues lumineux, Martin Drainville, qui reprend avec toute la justesse et la sensibilité nécessaires le rôle de François Brochu, « Boss » pour les intimes, incarné si brillamment par Serge Thériault au cinéma qu’il en avait récupéré le Jutra du Meilleur acteur pour sa prestation. Comme Thériault, Drainville maîtrise drame et comédie avec la même aisance et s’avère aussi attachant sous les traits de ce veuf sévère, mais aimant. Qui tente maladroitement de garder sa progéniture unie autour de sa petite entreprise. Trop généreux avec les voyous des alentours et dépassé par les bouleversements de son époque, et conscient de l’être.

À peu près tous les éléments de la trame du Gaz Bar Blues original sont réalignés. Nous sommes en 1989, à Limoilou, dans un quartier plus brutal que propret. Réjean (Frédéric Lemay / Sébastien Delorme au cinéma), le fils responsable et un brin frondeur qui tient le fort, écoeuré de voir son père se faire trop souvent manipuler, met le cap sur l’Allemagne pour photographier la chute du mur de Berlin, s’y fera arrêter en rentrera au bercail « queue entre les jambes ». Encore ici, on a droit aux images de l’historique événement sous forme d’envois du jeune adulte aux siens.

S’y retrouvent également le rebelle Guy qui n’en fait qu’à sa tête, la clientèle pilier du Gaz Bar Champlain (Claude Despins s’approprie entre autres avec grand charisme le Monsieur Savard qu’était Gilles Renaud au départ), l’inspecteur zélé, le hold up… et la cruelle pancarte « Fermé pour toujours » qui clôt les illusions de notre Boss désabusé.

Encore plus drôle qu’à l’écran, la scène du réveil au rythme d’un stoïque et répétitif « Es-tu debout, Guy? » pourrait devenir culte pour les amateurs.

Nul besoin d’avoir vu la mouture initiale de Gaz Bar Blues – de toute façon difficile à trouver sur les plateformes – pour en apprécier le pendant en salle, mais il importe de signaler combien cet hommage à la création de Louis Bélanger en est digne, et combien celle-ci a été bien servie. On y décèle la même dureté, mais aussi la même tendresse.

Maintenant, quel autre film pourrait être repensé au théâtre, selon vous…?

La pièce Gaz Bar Blues tient l’affiche du Théâtre Duceppe, à Montréal, jusqu’au 19 février, puis sera présentée en tournée ensuite. Consultez le site officiel pour toutes les dates.

Rappelons que, le soir de la première de Gaz Bar Blues chez Duceppe, le 19 janvier, une partie de la distribution du long métrage était présente pour marquer le moment. Revoyez-en les visages ici. Fanny Mallette en a d’ailleurs profité pour effectuer une rare sortie en famille.

Serge Thériault, qu’on sait reclus depuis plusieurs années, n’y était toutefois pas. Nous avons justement pu avoir de ses nouvelles récemment. Apprenez-en plus ici.