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Critique

Benoît McGinnis déplace de l’air dans Hedwig et le pouce en furie

Hedwig et le pouce en furie

On avait eu un aperçu, lors du dernier Gala de l’ADISQ, du look complètement éclaté de Benoît McGinnis dans le rôle-titre de la pièce Hedwig et le pouce en furie. Perruque de longs cheveux blonds, courte tenue de jeans scintillante, talons métalliques, outrageux maquillage : déjà, en novembre, ça promettait de frapper fort.

Jeudi, on a eu droit à la totale. C’était la première montréalaise d’Hedwig… au Studio TD (anciennement l’Astral), salle choisie pour épouser la formule cabaret de ce spectacle musical glam, sexy, salace, irrévérencieux, drôle et aussi très sensible, adaptation québécoise du théâtre rock américain Hedwig and the Angry Inch. D’Off-Broadway en 1998, l’oeuvre a migré sur le célèbre boulevard new-yorkais en 2014 avec Neil Patrick Harris en son centre et a entre-temps, en 2001, été objet d’une transposition au cinéma maintes fois primée, signée par l'auteur original, John Cameron Mitchell.

Ici, elle est traduite et adaptée par René Richard Cyr (artisan d’une mise en scène aussi grandiose que flyée), en collaboration avec Benoît McGinnis. Nous arrivant trois ans plus tard que prévu en raison d’un « petit imprévu » mondial appelé COVID-19, Hedwig..., qui bouscule toute barrière d’identité sexuelle, n’aurait pu mieux tomber que dans nos mœurs actuelles.

Évidemment, Hedwig et le pouce en furie repose sur la performance d’un acteur, Benoît McGinnis, qui porte la production sur ses épaules avec une maîtrise fabuleuse. L’acteur – également méconnaissable dans cette nouvelle série d’ICI Tou.tv – module sa voix et ses mimiques, s’épivarde dans des numéros musicaux tendres ou survoltés, et s’expose dans une vérité totale pour rendre justice à la chanteuse et rockeuse allemande tout en contraste qu’il interprète.

Et ce, sans compter la quantité de monologues qu’il porte en bouche, parce que notre Hedwig ne fait pas que fissurer le quatrième mur la séparant du public, elle le pulvérise complètement. McGinnis sublime à merveille l’audace et la fragilité, l’humour et la douleur, et la dépendance à sa drogue dure – la scène – de son personnage coloré au « cul de déesse ».

Ni transgenre, ni drag queen, celui-ci nous explique et chante sa genèse et son histoire tout du long de ce « one night stand » où fusent les blagues loin d’être politiquement correctes, référant au « syndrome de la personne raide » (l’un des gags les mieux envoyés de la soirée) ou à n’importe quel acte sexuel buccalement consenti. Des touches de légèreté– karaoké, boutade coquine – désamorçant un discours somme toute pas jojo. Même une mouche oserait à peine voler dans la salle quand McGinnis se dévêt et s’exhibe dans une entière vulnérabilité, dans le tableau final.

Dans son décor de band de garage sous une marquise illuminée, Hedwig raconte avec ferveur sa « tête dans le four », Berlin-Est et l’ultérieure chute du mur (symbolisée en bruitage et éclairages), son opération de changement de sexe, le départ avec un soldat américain et Junction City au Kansas. Une route rocambolesque sinuée d’amours torturés au son des airs du groupe baptisé Le Pouce en furie, hommage direct à son organe diminué, fruit de l’intervention chirurgicale ratée. Élisabeth Gauthier Pelletier, dans la peau de Yitzhak, choriste et mari d’Hedwig, prend habilement sa place, vocalement et métaphoriquement, en n’outrepassant jamais sa position de faire-valoir.

Vous l’aurez compris, avec pareils propos, Hedwig ne fera pas de tournée des CPE et des écoles primaires prochainement. Mais, pour les adultes avertis, Hedwig et son pouce, c’est un bonbon autant qu’une claque au visage, qui nous habite bien au-delà de la tombée du rideau.

Pour connaître l’horaire de représentations d’Hedwig et le pouce en furie à Montréal et ailleurs au Québec, on consulte le site officiel de la production. Deux représentations (18 h et 21 h 30) sont programmées ce samedi 28 janvier, au Studio TD.