On soulignera cet été l’affligeant dixième anniversaire de la tragédie de Lac-Mégantic, et le réalisateur Philippe Falardeau nous rappelle dans une série documentaire percutante, disponible aujourd’hui même sur la plateforme Vrai, qu’hélas, bien peu de leçons ont été tirées du déraillement ferroviaire du 6 juillet 2013.
Cette ville détruite, cette cinquantaine de personnes incinérées en quelques secondes à peine, ces traumatismes, ces souvenirs à jamais douloureux : l’innommable aura non seulement été vain…. Mais il pourrait en plus se reproduire.
C’est ce que démontre minutieusement le réputé cinéaste (Monsieur Lazhar, Guibord s’en-va-t’en-guerre, Le temps des framboises, etc) dans Lac-Mégantic : Ceci n’est pas un accident, démonstration en quatre heures révoltantes, voire enrageantes, de l’inaction et du laxisme des autorités qui ont mené à la plus grande catastrophe ferroviaire au Canada, qui a eu des échos partout dans le monde. Voyez ici la bande-annonce.

D’une part, le brûlot de Falardeau trace le récit bouleversant des événements, appuyé d’images qui crèvent encore le coeur aujourd’hui. On évoque le pétrole qui coule à travers les maisons, les résidences en feu qui ont fondu à une vitesse record dans l’incommensurable braiser, l’impuissance des citoyens dans cette nuit d’horreur, la gestion des terribles heures qui ont suivi par la courageuse mairesse Colette Roy-Laroche, pourtant aussi ébranlée que le reste de sa communauté. Les proches des personnes décédées se remémorent leurs tristes faits et gestes de ce jour fatidique dans des témoignages poignants.
D’autre part, Lac-Mégantic : Ceci n’est pas un accident choque et indigne en détaillant la série d’erreurs et d’errances commises par la compagnie ferroviaire Montreal, Maine & Atlantic (MM&A) et Transports Canada dans l’itinéraire des 72 wagons meurtriers remplis de 7,7 millions de litres de pétrole, en partance de Dakota du Nord. On comprend rapidement qu’en cours de route, les voyants rouges annonçant un danger se multipliaient et ont tous été ignorés, à commencer par la quantité de pétrole, augmentée de 28 000% par rail entre 2009 et 2013, véhiculée par la MMA. Les risques d’explosion sur les rails qui ployaient sans doute sous ce poids insoutenable ont été minimisés, on a préféré favoriser le pactole à la sécurité, et Lac-Mégantic en a chèrement payé le prix. On décortique aussi le système de freinage qui a fait défaut dans un stationnement incorrect dans une pente, les citernes trop fragiles, l’économie sur le nombre d’employés à la maintenance de l’appareil, la mainmise d’un siège social américain sur les décisions prises au Québec, la façon cavalière avec laquelle étaient reçus les employés qui osaient manifester une inquiétude. Des enregistrements troublants ajoutent au sentiment de dégoût que nous inspirent certains propos tenus à la caméra.

Lac-Mégantic : Ceci n’est pas un accident donne la parole aux acteurs de premier plan de l’assaut (qui, non, n’est pas un « accident », a maintes fois martelé Philippe Falardeau en visionnement de presse, lundi), excepté Tom Harding, le conducteur du train, pour des raisons évidentes, a-t-on laissé entendre. Certains se dédouanent, comme Edward Burkhardt, ex-PDG de la MM&A, qui soutient que les fautes ont été commises par des gens et non par l’entreprise elle-même. Richard Labrie, ex-contrôleur en poste au moment cruel, a du mal à retenir ses larmes en se remémorant ce qu’il a dû cautionner dans l’exercice de ses fonctions. D’autres, comme le premier ministre du Canada, Justin Trudeau, et le ministre des Transports de l’époque, Denis Lebel, ont carrément refusé de participer au documentaire.
Philippe Falardeau raconte aimer les trains. Il dit même avoir écrit son iconique long métrage Monsieur Lazhar dans un tel véhicule. On vous défie néanmoins de regarder d’un œil romantique ou insouciant ces mastodontes qui traversent nos villes en sifflant après le visionnement de Lac-Mégantic : Ceci n’est pas un accident. Philippe Falardeau a d’ailleurs indiqué aux journalistes, lundi, que d’autres épisodes du genre de Mégantic, des « copies carbones, moins le nombre de victimes », se sont reproduits ici et là ailleurs dans le monde, notamment en Ohio… Reste à savoir quand d’autres vies humaines en écoperont.
Évidemment que l’oeuvre, puissante, fouillée et efficace, n’a rien d’un divertissement léger, mais s’il est une initiative qui pourrait faire une différence et amener des changements de réglementation et de configuration chez nos décideurs des transports, c’est celle-là. Philippe Falardeau était le réalisateur qu’il fallait pour rendre justice aux Méganticois, et sa série s’avère le parfait complément à Mégantic, lancée plus tôt cette année sur Club illico, et qui raconte la même séquence d’événements, cette fois sous le sceau de la fiction. Déjà présentée aux Méganticois, le 11 avril dernier, la production de Trio Orange, coscénarisée par Nancy Guérin, complice de Falardeau, a déjà concouru en compétition au récent festival Canneseries et au Hot Docs de Toronto.
Les quatre épisodes de Lac-Mégantic : Ceci n’est pas un accident sont disponibles aujourd'hui sur la plateforme Vrai de Vidéotron.