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Critique

La série L’empereur ébranlera-t-elle les consciences?

Visionnement de presse de L'empereur

L’auteure Michelle Allen a marqué les esprits comme peu de créateurs ont su le faire en dépeignant les affres de la prostitution juvénile avec une justesse presque chirurgicale dans Fugueuse. La dame de télévision espère probablement recréer son effet avec L’empereur – La construction d’un agresseur, que Noovo proposera après Noël. Y parviendra-t-elle?

À la lumière des deux premiers épisodes de la série, vus mardi, nous sommes dubitatifs. Assurément, L’empereur repose sur un thème d’actualité aussi pertinent que percutant, les agressions et les abus de pouvoir. Le titre l’indique : « La construction d’un agresseur ». Comment un homme charmant qui a tout pour lui, tout pour plaire, en arrive à devenir un monstre? Le pouvoir qui monte à la tête, l’hypocrisie qui l’emporte, un être retors qui en arrive à jeter de la poudre aux yeux à tout son entourage et croire à ses propres mensonges… C’est ce que s’emploie à détailler L’empereur. Ambitieux projet.

C’est le charismatique Jean-Philippe Perras et son perçant regard noisette qui ont hérité du rôle complexe et bourré de nuances de Christian Savard, créatif publicitaire débordant de talent et d’audace appelé à aller loin, amoureux fou de sa copine Olivia (Geneviève Boivin-Roussy), protecteur de sa grande sœur Audrey (Madeleine Péloquin), de sa nièce adorée, Rosie (Florence Pilotte) et de son père (Jean L’Italien), rassembleur, gentil et généreux. Vraiment, on lui donnerait le bon Dieu sans confession à ce Christian avenant et, disons-le, beau comme un coeur.

Avant #MeToo

L’histoire se déploie sur 10 ans. Ici, nous sommes en 2005. Christian bâtit sa carrière et fonde sa famille. Il commence à ne fricoter que du bout du doigt avec l’interdit. Là, nous sommes en 2015. Notre anti-héros est devenu un homme d’affaires important, qui inaugure un organisme de bienfaisance de son initiative, au cours d’une réception huppée. Pourtant, dans la pièce d’à côté, une serveuse digne et courageuse, Marilou (Charlotte Aubin) plaque son job après avoir été violée quelques minutes plus tôt par ce répugnant visage à deux faces.

Dans le cercle rapproché de Christian qui contribue à faire briller son étoile, il y a aussi Manuela (Noé Lira), une jeune collègue qui deviendra sa première victime, son patron Antoine (David Boutin) qui a la blague de « mononcle » facile, et Édith Chalifoux (Macha Grenon), l’adjointe d’Antoine, qui navigue dans un monde d’hommes depuis assez longtemps pour savoir manoeuvrer sans s’insurger.

Toute la série prend ainsi corps, à travers les sauts dans le temps, avec des crochets en 2010 et 2012. Bien avant le mouvement #MeToo et les réseaux sociaux, remarquera-t-on, et c’est voulu; Michelle Allen voulait traiter de la problématique avant que ne se libère cette révolution de parole collective. En 2005, signale Allen, c’était la mode Sex and the City, les femmes voulaient être « one of the boys », et le terme « consentement » n’était pas aussi intégré qu’aujourd’hui dans nos vocabulaires.

Effleurera-t-on la vague de dénonciations de 2017 et ses répercussions? Peut-être. Jusqu’où ira la cruelle ascension de Christian et sa possible chute? Mystère. Y aura-t-il une suite à L’empereur? On ne sait pas. Autrement dit, tant Michelle Allen que la productrice Sophie Deschênes, de Sovimage, et la direction de Noovo gardent motus et bouche cousue sur l’issue des neuf épisodes qui, comprend-on, pourraient aller loin. Sophie Deschênes laisse d’ailleurs planer « une fin extrêmement dérangeante ».

Verbeux

Le potentiel d’impact social de L’empereur est énorme, donc. Mais ce n’est pas aux premiers moments de la production qu’on recevra la claque au visage qui nous sonnera véritablement. Peut-être parce qu’au premier abord, on est occupés à démêler les époques et les différents personnages qui les peuplent. Le réalisateur Adam Kosh a effectué un boulot soigné pour distinguer les teintes de 2005 de celles de 2015, mais ne clignez pas des yeux lorsque s’affiche le marqueur temporel, car vous en échapperez des bouts.

Aussi, ça parle beaucoup dans les premiers épisodes de L’empereur. Peut-être trop pour créer l’onde de choc souhaitée. Meeting de publicitaires, réunion de famille… La première heure s’étend longuement sur le comment du pourquoi Christian impose sa vision à son travail, et on insiste sans vergogne sur l’aspect « bon gars » du personnage. Comme si on avait voulu à tout prix nous le faire aimer avant de nous le faire détester. On comprend certes que Christian est à l’origine d’agressions graves, mais ce n’est qu’à la deuxième heure qu’on le voit commencer à tisser concrètement sa toile. Ce qui nous fait conclure que L’empereur n’est pas nécessairement trop lent; c’est verbeux. Plus d’images et moins de blabla auraient ébranlé davantage. Mais ça viendra sûrement.

Pour le résumer simplement, L’empereur, c’est un sujet troublant, une série intelligente, délicatement construite et très bien jouée, mais à laquelle il manque peut-être la poigne nécessaire pour nous happer comme l’ont auparavant fait Fugueuse ou même Chouchou. Mais on persistera au fil des semaines, certainement. Parce que des projets qui dénoncent l’inacceptable et tendent à faire œuvre utile, il n’y en aura jamais trop.

Comment la production de L’empereur a-t-elle composé avec le fait que Jean-Philippe Perras est le conjoint de Maripier Morin? Lisez ici la mise au point de l’équipe à ce sujet.

L’empereur – La construction d’un agresseur prendra l’antenne de Noovo le mercredi 11 janvier, à 20 h. Voyez ici le calendrier de la rentrée d’hiver de toutes vos émissions préférées.

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