« La magistrature québécoise l’a échappé » et Chantale Daigle n’aurait jamais dû traverser le calvaire qu’on connaît il y a près de 35 ans, alors que l’avortement avait pourtant été décriminalisé un an plus tôt au Canada.
Voilà comment le réalisateur et producteur Alexis Durand-Brault résume le drame de la courageuse femme, qui a marqué l’histoire de la province et qui se retrouve aujourd’hui objet d’une minisérie en six épisodes que Crave présente (à raison d’un par semaine) à compter de ce mercredi, 8 mars, Journée internationale des droits des femmes.
On en parle depuis longtemps, on pourra maintenant voir le résultat, excellent, finement scénarisé par Daniel Thibault et Isabelle Pelletier (Ruptures, Mirador), d’après une idée originale de Gaëlle D’Ynglemare.
Éléonore Loiselle (Chantale) et Antoine Pilon (Jean-Guy), dans les rôles principaux, crèvent l’écran : on comprend rapidement toute la combativité qui anime la première, qui avance avec une certaine candeur dans le processus judiciaire la concernant, mais bien décidée à faire ce qu’elle veut de son corps. « À 21 ans, j’ai plus de droits qu’un fœtus de 19 semaines », tranche-t-elle, alors que, face à elle, le téléspectateur aurait envie d’opiner d’un grand « oui » de la tête.
Le second s’est composé un parfait et presque risible accent relâché aux coins ronds, une voix grave crachant des formules maladroites à la « Comme qu’a dit ». Antoine Pilon n’a pas hésité à sacrifier son style joli garçon pour façonner un Jean-Guy Tremblay aussi crédible que peu aimable.
Les qualificatifs peu flatteurs se bousculaient d’ailleurs dans la bouche d’Alexis Durand-Brault, mardi, en table ronde avec les journalistes, après le visionnement des deux premières heures de Désobéir : Le choix de Chantale Daigle, lorsque venait le temps de décrire le sombre et manipulateur personnage qu’était effectivement le « vrai » Jean-Guy Tremblay, qui a voulu empêcher sa conjointe de 21 ans d’interrompre sa grossesse en 1989.
Bien plus qu’un fait divers ordinaire, la bataille qui opposait le sinistre petit homme à l’esprit peu déballé et la douce jeune femme, remplie de force de caractère malgré son apparence menue et délicate, s’est transportée en Cour d’appel – après qu’une injonction de la Cour supérieure eut empêché cette dernière d’avorter –, puis en Cour suprême. Entre-temps, Chantale Daigle était allée subir un avortement tardif en cachette à Boston, mais la Cour suprême lui a ensuite donné raison. Dans Désobéir…, on observe comment les avocats de Tremblay, Me Kelada (Jean-François Pichette, avec une perruque étroitement frisée) et Me Thomas (Patrick Hivon), séduits par la lumière médiatique, ont choisi de miser sur l’angle des droits du fœtus plutôt que sur ceux de leur client – loin d’être blanc comme neige – pour gagner leur cause.
Le « biopic » très fidèle (seuls quelques noms de personnes ou de lieux ont été modifiés) adroitement conçu par ALSO Productions – aussi derrière la poignante Mégantic –, illustre habilement, en parallèle, la naissance de l’histoire d’amour de la serveuse du Giorgio et du mécanicien sans envergure (qui avaient le même âge), l’évolution du combat de Chantale Daigle devant les tribunaux et, en filigrane entre les deux, la détérioration de leur relation. D’abord romantique et charmant, jouant les oisillons blessés par une enfance difficile, ce Jean-Guy Tremblay peu instruit s’avérera plus tard jaloux, possessif, irresponsable, violent et – on le comprendra – complètement menteur. Heureusement, Chantale Daigle recevra l’appui de militantes pro-choix, notamment incarnées par Rachel Graton et Émilie Bibeau, et de sa famille (Denis Trudel, Sylvie Dubé, Alex Bergeron, Joakim Robillard et Juliette Gosselin) soudée serrée autour d’elle.
Évidemment, la reconstitution de l’époque de la fin des années 1980 est sans failles dans Désobéir... : les vêtements (épaulettes, couleurs pastel), les coiffures, la rencontre des futurs amoureux/ennemis au Radio Shack, les exploits du Canadien et de Patrick Roy relatés à la radio, les références à Dynastie à la télévision, la cigarette beaucoup plus banalisée qu’aujourd’hui, tout y est. On avait déjà eu des aperçus des looks des deux personnages principaux cet automne (ici et ici), mais une fois ceux-ci campés dans les décors et l’environnement de la période, l’assemblage est encore plus saisissant. La vraie salle de la Cour suprême, à Ottawa, a même été sollicitée pour les tournages; le juge en chef, le très honorable Richard Wagner, a apparemment été très affable avec la production, a-t-on précisé mardi. Désobéir… se commence, et se terminera, avec des images de la tuerie de Polytechnique, symboliquement liée à la tempête affrontée par Chantale Daigle
Jamais ce conflit, d’ailleurs perçu comme une grosse chicane de ménage qu’on ridiculisait à la façon des déboires des Lavigueur au moment de sa sortie dans les journaux, avant qu’il n’atteigne l’ultime étape de la Cour suprême, n’aurait effectivement dû aboutir dans l’espace public. Tant les Daigle que les Tremblay, des gens simples (au bon coeur et sans malice dans le premier cas), n’étaient outillés pour découdre avec un tumulte du genre, où tout a été compliqué, jusqu’aux juges qui n’étaient pas disponibles dans la région de Chibougamau, où habitait la famille de Chantale Daigle, ce qui a amené les débats de la Cour supérieure jusqu’à Val-d’Or. L’avocat de Chantale Daigle, Me Daniel Bédard, ici personnifié par Éric Robidoux, était même à peu près inexpérimenté avant de se retrouver à piloter la plus importante cause du moment au pays.
Le titre de Désobéir : Le choix de Chantale Daigle prend tout son sens lorsqu’un membre de sa famille lui demande si elle veut « désobéir ou pas », lorsqu’on lui annonce qu’elle est passible de deux ans et des poussières de prison et une amende de 50 000 $ si elle interrompt sa grossesse contre l’ordre de la justice. Alexis Durand-Brault n’a pas tort lorsqu’il martèle que l’histoire de Chantale Daigle, c’est « l’histoire du contrôle des hommes sur les femmes ».
Comme Sophie Lorain l’a expliqué à Tout le monde en parle dimanche, personne de son équipe n’a pu parler de vive voix à Chantale Daigle avant de lancer ce projet de série, mais la productrice lui a écrit une lettre personnelle, qu’elle a remise à des militantes de l’époque, toujours près d’elle aujourd’hui. La principale intéressée a procédé de la même façon pour donner son accord. Le tandem Thibault-Pelletier s’est basé sur les deux livres publiés par Chantale Daigle et Jean-Guy Tremblay une fois les événements terminés, ainsi que sur toute la documentation existante, pour façonner leur trame narrative.
À l’heure qu’il est, Chantale Daigle, mère de quatre enfants, aurait refait sa vie sous une autre identité et ne souhaite d’aucune façon apparaître dans les médias. Quant à Jean-Guy Tremblay, il a été arrêté en Alberta quelques années après le procès et a été emprisonné cinq ans pour violence conjugale. On a complètement perdu sa trace à ce jour.
Un épisode par semaine de Désobéir : Le choix de Chantale Daigle est déposé sur Crave à compter d’aujourd’hui, mercredi 8 mars. Il n’est pour l’instant pas question que la série soit diffusée sur Noovo. L’oeuvre a été sélectionnée au festival Séries Mania, en France, et un documentaire complémentaire, truffé d’images d’archives et porté par Noémi Mercier, sera aussi mis en ligne sur Crave le 12 avril.
Le visionnement de presse d’une autre série québécoise très attendue avait également lieu mardi. Lisez ici notre critique de l’émission en question.