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Critique

Délicat, de Fabien Cloutier : un spectacle coup-de-poing!

Le spectacle Délicat de Fabien Cloutier

Le ton presque criard toujours un peu indigné, l’accent beauceron encore fier aux tournants des sonorités en « ch », le propos à parfois faire friser les oreilles d’un millénarial qui se moquerait d’un boomer au Gala les Olivier : Fabien Cloutier n’est pas exactement Délicat dans son deuxième spectacle, contrairement à ce que laisse entendre le titre de ce nouvel opus qu’il dévoilait mercredi, au Club Soda, à Montréal, sept ans après le début de son précédent one man show, Assume.

Dans Délicat, l’intelligent et conscientisé Fabien Cloutier joue les rustres, les égocentriques, les ignorants éduqués pour dénoncer à sa manière les coches mal taillées dans notre société. Ou plutôt, ces heureux innocents qui s’enfargent nu-pieds dans lesdites coches mal taillées, sans sentir les échardes qui leur écorchent les pieds. Si vous n’entendez pas l’ironie, vous faites peut-être partie du problème...

En ouverture, le retour de Fabien sur les routes de la tournée offre un beau prétexte pour parler des marchés d’artisans qui décorent certaines régions, leurs savons à base de graisse de marmotte et autres roches peinturlurées que d’aucuns appellent de l’art contemporain. Salutations à Lyne, l’ancienne brigadière de Saint-Gabriel-de-Brandon et ses arrangements bien intentionnés, mais qui ne trouvent pas vraiment grâce aux yeux de notre hôte.

On craint les clichés du presque quinquagénaire confortable dans sa banlieue quand, ensuite, le créateur et interprète de Léo s’aventure dans les vices cachés des spas (« Machine du démon qui te regarde en criant vaginite »), puis dans le persiflage envers ses « emprunteux » de voisins. Un conseil : méfiez-vous si Fabien vous refile son pot de mélasse datant de l’époque de ses études.

Mais on se rassure vite : le ton incisif typiquement Cloutier prend peu à peu le dessus. On commence à jaser véritablement quand notre irrévérencieux s’engage dans le tournant de la crise climatique et du réchauffement de la planète (« la ménopause de la Terre ») que son personnage de scène tourne en dérision avec vive acuité. Le Fabien Cloutier de Délicat, qui rêve de se prélasser en bermudas à 80 ans dans une station balnéaire de Trois-Rivières en suçotant des noix de coco décrochées à Thetford Mines au son d’une prestation d’Yves Lambert, ne s’inquiète pas trop du sort de la calotte polaire du Groenland. Il serait bien prêt à prendre le transport en commun si ce n’était de l’aspect « en commun » de la chose (« Dans l’autobus, ça sent la mycose des ongles! ») avec des « messieurs qui toussent creux », mais il consent toutefois à arrêter de prendre l’avion. À quoi bon voyager, de toute façon, quand nos téléviseurs nous renvoient désormais des images plus précises qu’un véritable paysage à nos pieds…

Le fil de Délicat gradue en profondeur plus Fabien Cloutier avance dans ses enjeux de société à varloper (toujours satiriquement). On ne soupçonne pas jusqu’où ira le segment des animaux de compagnie, qui finit par emprunter toutes sortes de tangentes, de la corneille à la chèvre au geai bleu. On survole les maisons connectées, le commerce équitable, l’autosuffisance alimentaire. Tout doucement, on dévie sur cette comparaison avec l’Autre : votre vie semble difficile? Trouvez-vous un ami avec plus de problèmes! Votre couple bat de l’aile? Identifiez un célibataire au morne quotidien! Fabien, lui, se trouve pas si mal depuis que l’un de ses amis a été frappé deux fois par la paralysie de Bell, qui touche le visage. « Lui qui aimait tant siffler "Wind of Change", de Scorpion... »

Et pourquoi pas une baffe au concept de grossophobie, un coup parti? « L’anorexie, ça peut avoir des effets bénéfiques sur le budget d’une famille... » Quant à la vanlife, elle brise des couples autant que les « tablettes » électroniques et les paddle boards, foi de Fabien Cloutier. En guise de rappel, l’anecdote impliquant son ami Hubert Proulx sur le consentement s’avère tristement hilarante.

Beaucoup de menus éléments apportent une singularité à ce Délicat qui ne pourrait appartenir à personne d’autre qu’à Fabien Cloutier, gagnant d’un Olivier pour ses chroniques à Puisqu’il faut se lever dimanche dernier. Les éclairages qui fluctuent au gré de ses exclamations. Cette vulgarité savamment dosée, fréquente mais pas exagérée, qui cogne au parfait moment et qui coule avec l’alter ego; c’est parfois dégoûtant, mais c’est de bonne guerre, ça colle au discours. Puis, moins menu détail, ce texte touffu et visiblement ciselé avec précision par Cloutier lui-même (qui est son propre metteur en scène et probablement concepteur de son « décor » consistant en un tabouret et un verre d’eau), Luc Boucher et Julien Corriveau. Le soin apporté à la musique d’ouverture est également à signaler.

Fabien Cloutier présentera Délicat en tournée au Québec dans la prochaine année. Il s’arrêtera notamment à la Salle Albert-Rousseau, à Québec, les 17 et 18 avril. Toutes les dates sont sur son site web.

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