Janette Bertrand est une véritable guerrière. On le savait, mais le documentaire Janette et filles, que Télé-Québec diffusera mercredi, met en relief tous les combats que cette pionnière a menés, toute sa vie, au nom de toutes les femmes.
Et on a beau être conscients que « notre » Janette a « déniaisé le Québec » et beaucoup fait pour nos filles et les filles de nos filles, on a beau avoir déjà vaguement entendu qu’elle s’était jadis battue pour pouvoir parler de sexualité à la télévision ou écrire sous son propre nom, de se faire raconter ses luttes bout à bout, condensées en une heure qui file beaucoup trop rapidement, ça épate, ça remue et ça estomaque encore davantage.
Féministe, Janette l’a toujours été et, à 97 ans, elle se réjouit haut et fort que la jeune génération se permette aujourd’hui de nommer sans honte des réalités comme le patriarcat et les « boys club » et ose se défendre par le biais du mouvement #MeToo. Beaucoup grâce à elle, n’ose-t-elle pas ajouter, alors faisons-le à sa place.
On doit à l’autrice et documentariste Léa Clermont-Dion l’idée de cette brillante rétrospective, un « devoir de mémoire », qu’on espère éventuellement voir projetée dans les écoles.
Démystifier la violence
En suivant une trame d’images d’archives captivantes, Janette y détaille des agressions subies dans sa jeunesse, et tous les sacrifices imposés « parce qu’elle [était] une femme », du mépris de l’éducation qu’elle aurait voulu recevoir jusqu’aux portes qui se fermaient devant de potentiels emplois.
Janette et filles insiste sur la carrière d’actrice de sa vedette, largement sous-estimée; non, Janette Bertrand n’a pas joué que dans La petite Aurore, l’enfant martyre! Elle a même déjà participé à un film produit par Walt Disney à Hollywood.
Même comme écrivaine, la dame a souffert d’un manque de reconnaissance dans sa propre patrie, malgré une vingtaine de best-sellers publiés depuis 1946. Ses premiers courriers du coeur ont permis aux femmes de s’exprimer et, déjà, Janette y malmenait quantité de tabous.
Son mari Jean Lajeunesse recevait le crédit pour des textes télévisuels qu’elle écrivait, jusqu’à ce qu’elle puisse enfin s’approprier le mérite pour ses œuvres… dans les années 1980. Elle qui a pourtant étudié l’écriture dramatique à Los Angeles.
Janette Bertrand a pris le risque périlleux de parler sans faux-fuyant de violence à la télévision, à heure de grande écoute : on revoit des images insoutenables de la dramatique L’Amour qui tue, de la série L’Amour avec un grand A, et de l’édition de Parler pour parler qui avait suivi, où elle donnait la parole à des hommes violents. Même le viol collectif était passé sous la loupe affûtée de Janette.
En 2022, Janette Bertrand continue de dénoncer les injustices – l’un de ses prochains ouvrages portera sur « l’extrême vieillesse », et elle ne démord pas de son envie de refaire de la télévision, comme elle nous l’expliquait ici –, mais elle constate fièrement que d’autres reprennent le flambeau. Elle rêve de voir l’essai Le boys club, de Martine Delvaux, être inséré dans les emballages de produits hygiéniques féminins; ainsi, toutes les femmes pourraient le consulter!
Il reste des briques à poser à l’édifice, mais Janette en est convaincue : il y a de l’espoir pour l’égalité hommes-femmes. Une étincelle qui s’allume en elle quand elle regarde de jeunes papas prendre soin de leurs enfants. « S’ils sont capables d’apprendre ça, ils sont capables d’apprendre l’égalité... », décrète-t-elle à la fin de l’émission.
Janette et filles tend le micro à plusieurs héritières de Janette Bertrand, dont Noémi Mercier, Claudia Larochelle, Gabrielle Boulianne-Tremblay, l’autrice trans Chris Bergeron et la psychologue Régine Bertheau, qui témoignent de l’importance de cette battante dans leur existence. Guylaine Tremblay ne pense pas si bien dire lorsqu’elle affirme avec tendresse que Janette Bertrand est une « belle délinquante », et on ne peut s’empêcher de sourciller quand Kim Lévesque-Lizotte avance que la mère d’une de ses amies estimait que Janette, par ses prises de positions publiques, « brisait des mariages ». Troublante opinion, hélas partagée par plusieurs à une certaine époque.
Le documentaire Janette et filles sera présenté le mercredi 12 octobre, à 20 h, à Télé-Québec, puis en rattrapage au telequebec.tv. Notons que l’édition de mercredi de Dans les médias, qui suivra à 21 h, reviendra également sur le sujet, alors que Léa Clermont-Dion rendra visite à Marie-Louise Arsenault pour parler de l’image du féminisme dans les médias.