Brigitte Boisjoli nous accueille pour une entrevue tout de rose vêtue, son toujours rayonnant sourire aux lèvres, sa proverbiale bonne humeur emplissant l’espace.
Pourtant, c’est un nouvel album aux sujets difficiles, presque torturé, que nous propose aujourd'hui la chanteuse avec Mens-moi. On a apprivoisé Brigitte comme une dynamo à Star Académie (2009), approfondi sa personnalité guillerette sur ses deux premiers disques à sonorités vintage, Fruits défendus (2011) et Sans regret (2014) et, depuis 2015, l’héritière de Diane Dufresne et autres Marjo faisait sien le répertoire des autres, celui de Pasty Cline (2015), les textes de Luc Plamondon (Signé Plamondon, 2017), et les voix féminines country américaines (Women, 2019).
Mais, en 2023, Brigitte Boisjoli a 40 ans. Elle était mûre pour un tournant. Et quel tournant : l’artiste se risque pour la première fois, sur Mens-moi, à titre d’auteure-compositrice. La pandémie et ses longs mois d’ennui lui ont donné le temps de fricoter avec la plume (elle a commencé en griffonnant des phrases dans un cahier Canada!) et de composer des mélodies pour la première fois, avec la complicité de collaborateurs aguerris comme King Melrose, Éric Maheu (Kaïn), Jean-Philippe Audet (son ex-conjoint et père de sa fille de presque six ans, Charlie) et plusieurs autres. Notre hyperactive écoutait jusque-là les spectateurs s’époumoner sur les vers de ses collègues Roxane Bruneau ou Marc Dupré lors de spectacles collectifs, et a fini par se dire qu’elle aussi, souhaitait créer l’unisson dans les salles avec des rimes sorties de ses tripes.
Les mélodies, elles, valsaient dans sa tête. Brigitte les enregistrait pour les communiquer à son réalisateur Jay Lefebvre, avec qui elle s’entend comme le doigt voisin d’une même main. Son équipe, au Studio B-12, leur avait donné carte blanche, style et paroles. La confiance a emboîté le pas, et voilà Mens-moi.
On n’abuse donc pas ici d’un cliché, en avançant que cette nouvelle collection de Brigitte Boisjoli est éminemment personnelle. En chantant ses propres mots, ce sont des réflexions sur la soumission amoureuse (« Dépendante de toi »), l’abandon de son père, dont elle n’avait que rarement parlé jusqu’ici (« Partir »), les relations sentimentales toxiques (« Mens-moi »), les beaux parleurs qui ont voulu la tromper dans sa vie personnelle ou professionnelle (« Fraude ») et même une agression subie dans le passé (« Ma fight ») qui émanent. Chaque fois, sur des teintes soul, jazz et folk, toujours dans une ambiance légèrement 70s. Mais tout n’est pas que sombre chez Boisjoli, qui rêve aussi éveillée (« Six pieds sous terre »), fantasme de grands espaces (« Besoin d’air ») et enjoint sa belle enfant de demeurer elle-même, jamais loin d’elle (« Reste »).
« Vas-tu bien? », la questionnons-nous quand même, sur le ton de la blague connivente.
En guise de réponse, un éclat de rire joyeux. Brigitte nous rassure : les histoires de Mens-moi s’étalent sur toute une vie et ne lui sont pas arrivées que récemment. Dieu merci!
« C’est un journal intime qui a commencé très, très jeune, jusqu’à aujourd’hui », résume-t-elle. « Et tout n’est pas triste. Les textes sont profonds, mais c’est rarement très, très triste. Il y a beaucoup de résilience. Ça m’est arrivé, mais je m’en suis sortie! »
Au sujet de la troublante « Ma fight », qui évoque un assaut dans une nuit noire laissant une victime « des heures clouée au plancher », en réalité figure de style que Brigitte utilise pour condenser divers types de rapports tortueux, la créatrice l’envoie comme une bouteille à la mer destinée à quiconque aurait besoin de s’exprimer.
« Je pense que beaucoup de femmes et d’hommes vont se retrouver dans cette chanson, qui parle de violence sous toutes ses formes. Je pense qu’on a été assez échaudés, dans les dernières années! Beaucoup de gens se sont levés et ont parlé haut et fort. Moi, j’ai été capable de le faire en chanson. Est-ce que c’était de panser une blessure que d’écrire là-dessus? Je pense que oui. Est-ce de donner de l’espoir à ceux qui sont plus ou moins capables de le dire? Peut-être. Je serai très ouverte aux témoignages que je vais recevoir. J’en ai déjà reçu beaucoup, d’ailleurs, de gens qui ont vécu des relations toxiques, avec "Mens-moi" ou "Partir". Et tant mieux si ça touche les gens et qu’ils viennent se confier! Ça sert aussi à ça, la musique : guérir des blessures. »
Au sujet de son papa qui a pris la poudre d’escampette avec une inconnue et laissé sa famille derrière, il y a plusieurs années, Brigitte affiche la même sérénité.
« Mon père a choisi une autre vie, plutôt que de rester avec moi et ma sœur. Et, avec les années, j’ai compris. La chanson n’est pas triste, parce que j’ai accepté le choix de l’autre. »
« Je fais beaucoup la paix avec plein de choses de ma vie, dans cet album-là », termine Brigitte, qualifiant ainsi ce projet de « réconciliation » avec elle-même, et avec ses choix.
« J’en avais besoin! »
L’album Mens-moi, de Brigitte Boisjoli, est maintenant disponible en format physique et sur les plateformes numériques.
Cette dernière a profité de notre entretien pour nous glisser qu’elle aimerait beaucoup, éventuellement, participer à cette téléréalité québécoise. Voyez laquelle ici.