Il a beau célébrer 50 ans de carrière en 2022, les décennies n’ont pas d’emprise sur Zachary Richard. À 72 ans, l’artiste cajun est encore capable de mettre un Théâtre Outremont tout entier dans sa petite poche d’en arrière, comme on l’a constaté lors de la rentrée montréalaise de sa tournée Danser le ciel, jeudi soir. Il n’a qu’à simplement revisiter les plus belles pépites de son répertoire, avec sa verve et sa poésie toutes simples, son immense charisme à l’avenant, et le tour est joué.
Zachary a fait bien des heureux au printemps dernier en lançant l’album Danser le ciel, où il réincarnait une dizaine de ses pièces de toutes les époques, accompagné d’un orchestre de chambre. L’opus contient de surcroît deux compositions originales, Danser le ciel (dédiée à sa maman décédée à 99 ans au début 2021), et My Louisianne.
Jeudi, ce projet faisant office de célébration pour son demi-siècle de métier prenait vie sur scène, en mouture modeste de quatre musiciens. Soirée tranquille? Absolument pas, la richesse de l’oeuvre de Zachary Richard, son énergie, sa ferveur et sa connivence avec ses partenaires de route et de concerts constituant un véritable et joyeux enchantement.
Une petite vague d’enthousiasme avait envie de se soulever à l’arrivée du jubilaire et sa bande, mais nos hôtes n’ont pas laissé la salle s’épancher, en attaquant rapidement Cliff’s Zydeco, tirée de l’album Le fou (2012). « Allons-y! », a annoncé Zachary, guitare au cou, debout et droit comme un chêne, sans perdre de temps. L’infatigable avait un party à faire lever!
Quelques secondes plus tard, prônant « un esprit de bienveillance, d’espoir, d’amour », il a invité les gens à battre la mesure avec lui. Déjà, le Théâtre Outremont mangeait dans sa main.
Émile, un invité de marque
La table était alors mise pour Sweet Sweet, qui porte merveilleusement bien son titre, et au son de laquelle, à l’arrière de la salle, près de la sortie, un couple y est allé d’une danse enflammée, laquelle a valu au duo quelques regards admiratifs au moment de se rasseoir.
« Ça commence bien », s’est délecté un Zachary Richard qui avait visiblement pris son élan, et accueilli de doux applaudissements aux premières notes d’Au bord du Lac Bijou.
En introduction de son immortelle Cap Enragé, il a imploré son public « d’envoyer une petite prière, une pensée spéciale à nos amis de la Floride, des Îles de la Madeleine » et « à tous ceux au large du Cap Enragé ». Même sorte de mise en bouche pour la bouleversante Au bal du Bataclan, qui évoque la tragédie du Bataclan de Paris, survenue en novembre 2015, à la suite de laquelle, dans une thérapie de groupe, un homme et une femme ont fait connaissance et se sont ensuite mariés et ont fondé une famille. « Il y a toujours une raison d’espérer », a philosophé Zachary, qui avait entamé son épisode d’un questionnement existentiel sur la raison de l’absence de ses chansons à la radio. Pourquoi? Parce que celles-ci parlent de catastrophes, nous a-t-il tendu en guise de réponse. Écologiques, politiques, sociologiques… et autres mots culminant en « iques ».
Bien sûr, on a eu droit à l’iconique, l’incontournable Ballade de Jean Batailleur. Nos excuses, Wilfred LeBouthillier; l’originale recèle toujours un brin davantage de saveur! Les troupes de Zachary ont étiré le plaisir à la fin, avec une envolée instrumentale digne des vieux routiers les plus inspirés.
Et notre privilégié rendez-vous, aux allures de festive rétrospective, avec Zachary Richard s’est poursuivi dans un entrelacement d’instants bénis, de cette Pleine lune en décembre offerte avec recueillement par une vedette assise seule éclairée à son piano, jusqu’aux mouvements de danse presque endiablés du pimpant septuagénaire sur Johnny Danser.
Et, non seulement Zachary a-t-il proposé La chanson des migrateurs, écrite pour son petit-fils atteint d’un trouble neuromoteur, mais ledit petit-fils, Émile, a même rejoint son aïeul au micro pour entonner avec lui J’aime la vie. Le duo avait enregistré J’aime la vie pour le disque du même titre, en 2013. Jeudi, ce numéro magique a évidemment été couronné d’une chaleureuse ovation debout, et Émile est resté, maracas en main, pour participer à une fête intitulée L’arbre est dans ses feuilles. L’assistance ne s’est, encore une fois, pas fait prier pour contribuer de saccadés battements de main.
Le tour de chant s’est achevé dans cette complainte qui lui colle toujours à la peau, Travailler c’est trop dur, à la grande joie de l’Outremont. Notre couple du début a de nouveau quitté ses sièges pour valser tendrement à l’arrière, et les spectateurs ont continué de boire les paroles de Zachary Richard, avant de les prononcer haut et fort avec lui. Personne n’avait envie de partir.
Les soirs se suivent, mais ne se ressemblent pas au Théâtre Outremont. Vendredi dernier, l’excellent Emmanuel Bilodeau y inaugurait son nouveau spectacle d’humour, Manu Bilodeux dans le pétrin, qui a été perturbé par un malheureux incident, heureusement maîtrisé rapidement.
Zachary Richard poursuit sa tournée Danser le ciel au Québec cet automne. Les dates sont sur son site web.