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Critique

Enfant du siècle, de Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques : Même Musset aurait croulé de rire!

Enfant du siècle, de Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques

L’érudition peut faire crouler de rire, Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques en est la preuve en chair, en os et en habit de gentilhomme. Dans son deuxième spectacle, Enfant du sièclevoyez ici l’explication pour ce titre fort bien choisi –, l’humoriste évoque sa jeunesse dans les galeries d’art et les cathédrales européennes, chante en hébreu et raconte utiliser la poésie comme moyen de contraception… et c’est hilarant.

Oui, c’est tordant même pour le Québécois moyen qui s’appelle Kevin et qui fréquente les Régates de Valleyfield (catégories de citoyens gentiment taquinées par notre penseur/philosophe/historien comique de 35 ans). Souverain sur la scène du Gesù, où il « réside » depuis un mois et propulsait sa première montréalaise jeudi, une demi-lune de roses rouges étalées à ses pieds, Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques plaira à quiconque aime l’humour bien tourné, peu importe son niveau de scolarité.

Parce que dans sa tirade pleine d’affection pour tout et tout le monde, Philippe-Audrey ironise autant sur son propre statut de nerd autrefois intimidé – et un brin décalé du reste de la société – et la haute classe privilégiée dont il est issu, que sur sa passion pour Paul Arcand qui ne cesse de grandir avec l’âge. Personne comme lui pour pasticher notre impatience générale d’auditeurs captifs lorsqu’on espère que l’animateur du 98,5 « ramassera » comme il se doit un « directeur de commission scolaire des Mille-Îles de Lavaltrie », aussi illustre inconnu soit-il! Et, le déclame-t-il comme un as raconteur, d’importantes leçons de vie peuvent (oui, oui!) se transmettre aux Régates de Valleyfield. Où lui-même s’est déjà pointé vêtu de Jean-Paul Gaultier...

Les « Kevin » en prennent donc pour leur rhume, mais sa propre réalité et son enfance y goûtent abondamment aussi, lui qui est entré à l’école en considérant que Michelangelo, Leonardo et Donatello étaient d’abord des peintres de la renaissance italienne plutôt que des Tortues Ninja, qui n’était pas baptisé (et donc exclu des cours de catéchèse), et ambitionnait à neuf ans de contribuer à la construction de la civilisation orientale (comme tout gamin de neuf ans, n’est-ce pas?). « J’étais pas l’invité de marque des anniversaires qui se passaient au restaurant du Zellers! », reconnaît celui que sa mère historienne de l’art, pour le consoler d’une peine d’amour, plaçait devant une toile de carré blanc sur fond blanc, voyant là une métaphore de la vie. Chez les Larrue-St-Jacques, on jasait davantage d’idées que d’émotions…

Il réussit à tracer un lien entre ses parents intellectuels de (très) haut niveau et L’Heure JMP. « On a compris qu’ à la maison, ça ne flashait pas beaucoup les lumières! », image-t-il, avant d’entreprendre d’expliquer de façon très colorée à ses plus jeunes spectateurs la raison de ce « clair-obscur collectif » des années 1990.

Dans Enfant du siècle (il paraphrase ainsi Alfred de Musset, cocu à un jeune âge, langui le temps d’un été de son coeur brisé puis mort suicidé) , Larrue-St-Jacques endosse un rôle aérien, celui d’un observateur d’un œil candide, naïf et incrédule, de l’autre aguerri, sage, connaisseur, pertinent, qui en a vu d’autres. Le mélange est délicieux; tantôt, le jeune homme expose son savoir façon professeur, tantôt il s’insurge faussement que la moyenne des ours ne vibre pas au diapason de son esprit suractif et trop bien nourri. « Moi je serai bien nulle part dans vie, mais mets-moi dans un karaoké à Tel-Aviv (…) Je partirai pas de la nuit! »

À travers son vocabulaire précieux, ses références aux plus savantes plumes de toutes les époques, ses citations de Victor Hugo (et de Garou...), l’acteur révélé par Like-Moi!, diagnostiqué doué, joue avec les accents et les caricatures, imitant le douchebag comme le Français émerveillé d’un morceau de sucre à la crème chez Cora. Dans la bouche de Philippe-Audrey, le trempage d’un cornet de crème glacée devient métaphore de nos choix de vie, on saisit combien les Jeux olympiques d’hiver traduisent le confort d’une société (« T’as pas connu la malaria et la guerre civile quand tu t’investis dans le skeleton »), on décode les diplômes de « l’UnivArsité de la vie » (pensez drapeau-rideau). On réfléchit aussi à l’amour, à l’intimité salvatrice du couple (salutations à sa « concubine »), au vivre-ensemble et à l’inéluctable temps qui défile.

Vous aurez compris que de spécifier que ce nouveau one man show de Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques est intelligent, voire brillant, serait un vulgaire euphémisme. De l’omniscience aux pieds bien vissés sur terre, de l’originalité, de l’audace, du rythme maîtrisé comme un métronome (le talent d’acteur fait ici toute la différence), des chutes judicieusement fichues : aidé de son compagnon Adib Alkhalidey à la mise en scène, l’artiste réinvente à sa façon – et humblement, presque nerveusement par-dessus le marché! – le propos du stand up classique.

L’Enfant du siècle de Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques, c’est un poème, un tableau, un monument dont on pourrait se délecter pour, justement, encore des siècles et des siècles.

Philippe-Audrey Larrue-St-Jacques présente Enfant du siècle à Montréal jusqu’au 18 mars, puis partira en tournée au Québec. Les dates sont sur son site web.

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