Publicité
Critique

Côté Ève, d’Ève Côté : Une fois, c’t’une fille, comprends-tu...

Première de Côté Ève, d'Ève Côté

Si Claude Blanchard et Léo Rivet devaient se réincarner dans une enveloppe féminine en 2023, on obtiendrait probablement Ève Côté. Ce n’est pas péjoratif; dans Côté Ève, son premier one woman show, l’humoriste d’origine gaspésienne exploite à fond ses racines de « femme du peuple, qui parle comme le peuple » pour déclencher les rires. Et tant pis si ça choque ou scandalise.

C’était son soir de lancement mercredi à l’Olympia de Montréal, et Ève Côté a été accueillie par l’une de ces ovations tonitruantes rares dans les premières d’humour. « Ça donne canfiance! », comme le scande-t-elle plus tard, de son fort accent du Bas-du-Fleuve.

En ouverture, Ève Côté se fantasme une comédie musicale – on sent rapidement l’influence du metteur en scène Joël Legendre – aux accents de joual. Puis, la trentenaire (avancée) nous dépeint son univers gaspésien, un peu « cochon » dans tous les sens du terme. Les personnages plus grands que nature qui peuplent sa famille et ses environs. Son grand-père qui a connu la misère et lui a servi des mises en garde bien de son époque, qui l’amènent à parler de L'Arnaqueur de Tinder et des femmes qui se font rouler par les beaux parleurs. Ça ne lui arrivera pas à elle, jure-t-elle, elle est trop maladivement méfiante.

Du hockey féminin, des tranches de vie de célibataire, la période de la chasse au temps du cégep à Gaspé et les retrouvailles des couples sous la couette (« Le lendemain de la fin de la chasse, c’est pas le temps d’organiser un marathon, y’a ben de la femme qui boite au pouce carré... »), le 15-34 où elle entrait jadis au moyen de « fausses cartes et de vraies boules » pour rejoindre les jumelles Lachapelle (« On buvait comme des chattes dans les bols de crème »), l’édenté de Grande-Rivière et son pick-up rempli de fruits de mer (« Ça sentait comme une fin de soirée quand tu enlèves tes leggins en cuirette »), les gâteaux Vachon (« Une demi-lune, ça se tenait comme un harmonica et se mangeait comme un cul »), les « mon oncles » et les « ma tantes » qui se varlopaient sur leur physique (« C’est sûr que mes cousins se crossaient avec des mitaines! »)… Rayon salacité, il y en a pour tous les goûts.

On s’attendait à ce que le spectacle de l’ex-Grande Crue soit, justement, cru, et qu’il ne fasse pas dans la mièvrerie. À ce point gros et gras? Peut-être pas. Aux premières lignes de « la meilleure chose à être sortie de la Gaspésie depuis la morue sec », dixit la voix hors-champ qui nous introduit Ève à son entrée en scène, quiconque s’attend à un brin plus raffiné sursautera peut-être.

Mais le tympan finit par prendre la pleine mesure du personnage. Bien sûr que c’est vulgaire. Bien sûr qu’il y a des « nounes », des « vers dans l’cul », des « pisses claires ‘dans ‘haie de cèdre » et des « femmes qui s’touchent ». On parle de gars « beau à mouiller en jet », on décrète qu’« une truie, ça sort pas du cul d’un lapin »...

Cela étant, le style est si assumé et bien livré qu’on a le goût d’écouter jusqu’au bout. On s’esclaffera assurément si on apprécie le genre. Même si on trouve dérangeant d'entendre Ève Côté marteler que, comme sa tante Germaine, elle n’a « même pas le temps de [s]’gratter ‘a ‘plotte » (sic), on ne peut que saluer son unicité.

En regardant au-delà du premier degré, on constate qu’Ève Côté, comme sa collègue Christine Morency, non seulement représente bien la nouvelle garde de femmes en humour, non seulement porte le flambeau des femmes comiques qui n’ont pas peur de percer les tabous, mais incarne la réalité qu’on a peut-être atteint ce jour où les femmes n’ont plus besoin de s’excuser de roter, péter et jouer aussi sale que les hommes. Ève n’est pas « baveuse » ou « coquine », elle nous rentre dedans sans s’excuser. On aime ou on n’aime pas, mais c’est franc. On ne fait pas dans la finesse, mais c’est drôlement significatif. Puis, des conteuses au féminin, chez nous, il n’y en a pas des masses.

Les anecdotes pourraient tomber plus à plat que plat si ce n’était de la couleur – héréditaire, apparemment – d’Ève Côté. En revanche, on peut aussi parfois trouver que le bas de la ceinture éclipse le propos. Entre énergie, langage grossier entièrement calculé et véritable matière, un juste équilibre pourrait être mieux dosé.

Mais notre brunette à la dégaine Gros Jean comme devant a trouvé sa place. Place vraiment bien définie et rehaussée par l’aspect visuel de Côté Ève, où la tête d’affiche occupe pleinement son espace en marchant, gigotant, giguant et claquettant entre chaise et tabouret, allant s’envoyer une gorgée de l’une des petites bouteilles trônant non loin, et surtout en faisant tournoyer l’escalier-podium qui trône au centre, aux facettes de différentes couleurs, pour illustrer son histoire du moment. Dans son petit monde bien à elle, quelque part entre Montréal et Gaspé.

Ève Côté présente Côté Ève en tournée partout au Québec. On consulte son site web pour toutes les dates.

Mentionné dans cet article