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Un gros WTF

3.0
Notre critique

Him n'est pas à un paradoxe prêt. L'amalgame de genres n'est pas toujours au point, transformant l'effort en un brillant exercice de style. En revanche, il est rare de voir un film embrasser à ce point sa propre folie et aller au bout de son délire.

Qu'il soit réalisateur (Get Out, Us, Nope) ou simple producteur (BlacKkKlansman, Monkey Man, le remake de Candyman), Jordan Peele aime mélanger critique sociale et cinéma de genre. Sa nouvelle production Him ne fait pas exception et le film, l'un des plus extravagants de l'année, risque de divertir ou de laisser perplexe selon qu'on adhère ou pas à la proposition.

Tout débute pourtant normalement, presque classiquement. Cam (Tyriq Withers) est la prochaine star du football américain, et afin de consolider son statut avant le prochain repêchage (et se remettre d'une blessure), il est entraîné pendant une semaine par Isaiah White (Marlon Wayans), un quart-arrière légendaire et son idole de jeunesse. Face au charismatique mentor, le jeunot devra prendre sa place et prouver qu'il est le meilleur.

Cette satire du rêve américain n'est pas sans rappeler Any Given Sunday, le drame poussif d'Oliver Stone. Il est question de la Sainte Trinité - famille, religion et sport - enracinée dans la tradition étasunienne. Notre héros devra trouver un moyen de survivre sur ce champ de bataille ultra compétitif où une commotion cérébrale est si vite arrivée et ne pas se faire avaler tout rond par la célébrité instantanée.

Cam est toutefois prêt à tout pour devenir le G.O.A.T., le plus grand joueur de tous les temps. Même à conclure un pacte faustien avec Isaiah, entraînant le récit dans le sillon de Rosemary's Baby et The Devil's Advocate. L'apprentissage du jeune héros passe par le fantastique, à l'image de la danseuse incarnée par Natalie Portman qui finissait par se métamorphoser dans Black Swan.

Tout cela est bien beau sur papier. Mais à l'écran, Him peine à remplir toutes ses promesses. Le scénario écrit à six mains touche plusieurs thèmes importants (comme la masculinité toxique, le dopage, le harcèlement des fans et la transformation d'athlètes noirs en gladiateurs) sans en aborder aucun en profondeur, réduisant les personnages à de simples idées rhétoriques. Cela n'empêche pas Marlon Wayans de livrer une performance impressionnante, sa meilleure depuis Requiem for a Dream. Cela se fait toutefois au détriment de Tyriq Withers (qui était de la récente relecture I Know What You Did Last Summer), beaucoup plus monolithique.

La mise en scène survitaminée de Justin Tipping (dont son agréable premier film Kicks était pratiquement un remake du chef-d'oeuvre Le voleur de bicyclette) permet d'oublier la vacuité de l'ensemble. Ses nombreux effets esthétiques offrent beaucoup de dynamisme à la création, autant au niveau du montage que de l'image. Le tout est complété par une trame sonore électrisante de Bobby Krlic (le compositeur fétiche d'Ari Aster) et ses puissants choeurs qui évoquent l'animation Ghost in the Shell.

Si Him ne fait pas peur et qu'il tient rarement en haleine, le long métrage provoque une angoisse certaine. Il représente un cauchemar qui n'obéit à aucune logique, laissant le chaos prendre le dessus. Très tôt, une mascotte qui aurait pu figurer dans Donnie Darko s'extirpe du néant pour hanter le protagoniste. Lorsque l'étrangeté mène le bal, rien ne peut l'arrêter. Elle se déchaînera avec passion et violence lors de séquences hallucinantes qui finissent par brimer l'émotion. Évidemment, il n'y a rien de très subtil au menu et encore moins dans le symbolisme en place. Surtout que le tout ne fait pas toujours de sens. C'est parfois seulement bizarre pour être bizarre. Mais lorsque vient le temps de la conclusion disjonctée, grotesque et puérile envoyée au visage des États-Unis, une grande satisfaction en ressort.

Him n'est pas à un paradoxe prêt. L'amalgame de genres n'est pas toujours au point, transformant l'effort en un brillant exercice de style. En revanche, il est rare de voir un film embrasser à ce point sa propre folie et aller au bout de son délire. Peut-être que s'il n'était pas estampillé du sceau de la compagnie de Jordan Peele, les attentes auraient été moindres. Alors que là, s'il y a forcément de la déception, il y a également l'idée d'un plaisir coupable qui a toutes les chances de devenir culte.