Leurs cheveux longs, leurs tenues savamment négligées, leurs sourires enjôleurs et leurs paroles d’amour un peu mièvres (mais si charmantes!) ont fait d’eux des idoles démesurées dans les années 1990. Comme le dit si bien Alain Lapointe, seul membre toujours vivant des BB : des « "bands" qui sentent le sexe », au Québec, il n’y en a plus! Le musicien raconte aujourd’hui le parcours complètement frénétique des BB dans l’ouvrage La folle aventure des BB, sous la plume dynamique de la romancière Nathalie Roy. Entrevue avec un artiste qui a vécu les plus hauts sommets de la gloire, « le rêve de tout homme ».
Alain, comment avez-vous réagi, émotivement, de vous replonger dans ces souvenirs très particuliers?
«J’ai été surpris de toute la mémoire que j’avais, de tout ce qu’on a pu vivre, les moments cocasses, les anecdotes drôles… Le livre a 320 pages, mais on en aurait pu en faire trois! Nathalie Roy a passé une semaine entière chez nous. Il y avait beaucoup d’heures d’enregistrement. On a gardé les moments-clés. Beaucoup de souvenirs sont revenus. Naturellement, ils ne sont pas tous dans le livre, mais si jamais ça obtenait un certain succès, je ne me gênerai pas pour en faire un autre… Mais on ne vendra pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué! À date, la réaction est très bonne. »
« Il y a des moments tristes, aussi. Ç’a été comme une thérapie, pour moi. Ça clôt mon deuil. J’ai vécu deux deuils, en fait. Patrick (Bourgeois, parti en 2017 suite à un cancer, NDLR), j’avais eu le temps de faire mon deuil avant, parce que je l’ai vu dépérir. Mais François (Jean, décédé subitement de « causes naturelles » en 2020, NDLR), ç’a été du jour au lendemain. Ça m’a vraiment frappé, et je ne savais pas comment réagir. Le fait d’avoir raconté notre histoire, d’avoir pu commémorer les bons moments qu’on a passés ensemble, nos gros spectacles, nos voyages en France et nos neuf soirs au Zénith, à Paris, nos anecdotes, nos engueulades… (rires) Il y a plein d’anecdotes là-dedans. Même nos chicanes me manquent! Je suis très zen avec tout ce qui s’est passé. »
Est que ça vous fait quand même de la peine de revivre tous ces souvenirs sans vos deux vieux complices?
« Oui, c’est très bizarre. Moi, j’étais habitué de me faire couper la parole par François (rires). Souvent, je parlais moins, parce que le focus était beaucoup sur Patrick, le chanteur, ce qui est très normal, et François se foutait souvent carrément devant moi, devant les caméras. Je ne me battais pas avec ça, j’étais le plus "low profile". Et aujourd’hui, je me retrouve à faire des entrevues et à ne pas être coupé! (rires) Oui, je m’ennuie de mes "boys", et je rêve encore souvent à Patrick. Mais l’idée de faire un livre germait dans ma tête au moment du départ de Patrick. Ce que nous avons vécu, c’est unique, et il n’y avait que nous pour l’exprimer. Mais François parlait tellement et n’écoutait pas, alors avec lui, ça n’aurait pas été possible. »
Avec tout le temps qui a passé depuis les années de gloire des BB, quel regard jetez-vous aujourd’hui sur la frénésie absolument incroyable que vous avez vécue dans les années 1990?
« Je dirais que c’est le rêve accompli de trois jeunes musiciens qui, dans la mi-vingtaine, avaient déjà du talent en musique et ont commencé jeunes à l’exploiter… et ça n’a jamais arrêté. On était déjà dans des groupes à l’adolescence, on était des amoureux de musique et on rêvait de vivre la vie de stars, comme les Beatles. Nos chemins se sont rencontrés, et on a fait une bombe ensemble! »
Y a-t-il eu beaucoup d’excès et de déchirements? Diriez-vous que votre célébrité était saine?
« L’ascension s’est passée tellement rapidement qu’on n’avait pas le temps de le réaliser. On était tellement sur la sellette! On allait en France, on revenait, on faisait toutes les télés, les radios, les journaux, on repartait en tournée, on faisait une soixantaine de "shows" par année... On avait un horaire hyper chargé, et on était dans l’ivresse du succès. C’est après, quand ça s’est arrêté, que c’est devenu difficile, autant financièrement que professionnellement. Heureusement, moi j’ai pu devenir professeur de musique dans les écoles, mais ce n’était pas évident pour tout le monde de se réorienter. »
Croyez-vous que d’autres groupes ou artistes québécois revivront un jour un succès tel que les BB ont connu?
« Non, parce que les albums ne se vendent plus. Le côté physique des albums, où on voyait les gars, qu’on pouvait les regarder, que toutes les petites filles regardaient ça et leurs hormones travaillaient… Aujourd’hui, ce n’est plus comme ça! Il n’y a que des milliers de photos sur Internet. Ici, au Québec, c’est un petit marché, où il faut bûcher. Il y a beaucoup de groupes qui sont bons, mais qui sont pop ou folklorique, ou un mélange des deux; un "band" qui sent le sexe, il n’y en a plus! Nous, on était trois canons différents : François avait le côté rebelle et rock and roll, Patrick était le chevalier des filles… De faire tomber des petites filles inconscientes devant la scène, au point de devoir les sortir parce qu’il y avait trop de pression… Je ne pense pas que beaucoup de "bands" pourraient réussir ça aujourd’hui. Dans ce temps-là, je ne m’aimais pas; je me regarde aujourd’hui, et je me demande bien ce que j’avais dans la tête! (rires) Sans prétention, au Québec, personne n’a vécu le même genre de vie que nous. »
Le livre La folle aventure des BB est en vente partout. Alain Lapointe offrira des dédicaces au Salon du livre de Montréal ce dimanche, 27 novembre, à compter de 15 h 30.