Il fallait s'y attendre : le Cirque du Soleil qui s'approprie l'univers de RBO, ça n'allait pas être conventionnel. Alors que l'entreprise fondée par Guy Laliberté produit généralement des spectacles lyriques et envoûtants, nous sommes ici complètement ailleurs.
Excentrique, absurde, parfois subversive et bien plus concrète qu'à l'habitude, cette proposition décalée s'avère certainement rafraîchissante, quoique déstabilisante. Déjà, il est plutôt rare que les clowns aient le droit d'élocution au cirque. Dans cet hommage, la picoleuse Halley Gria, jouée par l'humoriste Sinem Kara, brise le quatrième mur grâce à quelques monologues corsés et on ne peut plus actuels. La récente frasque de Guillaume Lemay-Thivierge fait d'ailleurs l'objet d'un gag cinglant. L'animatrice aborde aussi de façon frontale l'évolution de l'humour au Québec et comment le sarcasme mordant de RBO « ne passerait plus aujourd'hui ».
Le spectacle nous transporte dans un cabaret burlesque des années 80, où des personnages mythiques du groupe (voyez des photos de Chef Groleau, Madame Brossard et les autres vus par le Cirque du Soleil ici) rencontrent des spécimens bigarrés, créés dans le même esprit loufoque. Les costumes scintillants, luisants et colorés (ainsi que les 71 perruques) sont une des grandes réussites de cette production québécoise, qui n'a pas lésiné non plus sur les accessoires, dont fait partie un éléphant gonflable de 15 pieds de long.
L'expérience de l'Hommage à Rock et Belles Oreilles est aussi beaucoup plus interactive que ce que le Cirque nous sert généralement. La salle hors du commun de l'Amphithéâtre Cogeco de Trois-Rivières est certainement exploitée à sa juste valeur. Il y a de l'action dans tous les coins, rendant le spectacle accessible (et unique) pour tous, peu importe son siège. L'aspect musical ne manque pas d'impressionner non plus. Les pièces phares de l'univers de RBO - « I Want To Pogne », « Feu sauvage », « Re Fe Le Me Le », « Bonjour la police », etc. - sont placées dans un contexte étonnant et souvent aussi, drôlement conséquent. Par exemple, les acrobates sur le mât oscillant pendant « Arrête de boire » illustrent l'état d'ivresse. On utilise le cirque de façon plus littéral et c'est très bien ainsi. Comme RBO laissait peu de place à l'interprétation, cet hommage fait de même.
Reste que ce spectacle de 75 minutes s'adresse à un public bien spécifique. Il faut avoir aimé Rock et Belles Oreilles pour adhérer à ce "freak show". Si parfois on peut apprécier l'oeuvre sans nécessairement connaître ou affectionner sa thématique, dans ce cas précis, il faut avoir un intérêt certain pour RBO, sinon, on risque d'être largué rapidement.
Les vrais fans doivent absolument voir ce spectacle étonnant, inattendu et parfaitement cohérent avec l'univers du groupe, mais pour tous les autres, c'est à vos risques et périls... Vous aurez été avertis!