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Critique

Fred Pellerin raconte la vie comme un tour de manège dans La descente aux affaires

Fred Pellerin dans son nouveau spectacle, La descente aux affaires

Les personnages des contes de Fred Pellerin traversent les âges et font désormais partie de notre imaginaire collectif, comme ceux de combien d’autres fables, celles des Grimm comme de Claude-Henri Grignon. De film en spectacle, on retrouve le forgeron Riopel et sa fille, la belle Lurette, le naïf Babine, Méo le barbier et tous nos autres habitants de Saint-Élie-de-Caxton comme on renoue avec Séraphin, Donalda et le père Ovide : ils sont presque des membres de la famille.

Dans sa septième tournée, La descente aux affaires, entamée depuis déjà une quarantaine de représentations et actuellement campée à Montréal pour quelques jours, c’est à ce vlimeux de Toussaint Brodeur, tenancier du magasin général, que Fred Pellerin s’intéresse. Et, par la bande, à sa belle Jeannette. Ce Toussaint Brodeur qui ne dédaigne pas l’odeur de la piastre, tant que Fred croyait à l’origine écrire une histoire sur l’argent. Mais c’est finalement en une percutante réflexion sur le temps qu’on passe et qu’on perd, ce temps qui arrange ou pas les choses, toujours à un battement de coeur de s’arrêter brutalement, que consiste La descente aux affaires. Avec une douce touche de romance sincère qui se profile tout du long, mais qui ne s’exprime véritablement que lors du point final que notre hôte formule la voix un peu brisée par l’émotion.

Y’a-t-il besoin de mentionner que, même au bout de sept spectacles, on manquera de qualificatifs pour décrire la parlure joyeuse, vive, imagée et toujours sage du conteur le plus populaire du Québec? La « sobre » première médiatique de mercredi, premier jour de mars, s’est muée en unanime triomphe au bout de 90 minutes. Et bruyant, parce qu’on a rarement vu un Théâtre Maisonneuve aussi rempli. Ne restait à peu près aucun siège libre.

« La vie, c’est un seul tour de manège ». C’est ce que décrète l’Éternité en ouverture de La descente aux affaires. Un seul tour. Le réaliserons-nous à temps? Parce que le pire, ce n’est pas la mort, c’est tout ce qu’on laisse mourir en dedans de nous autres, pendant qu’on est encore vivants. Voilà le tableau que s’emploie à nous dépeindre Fred Pellerin dans son amusant et touchant nouvel opus. Une heure trente qui se déroule à vitesse de comptine avant le dodo.

D’abord à travers le récit de la mort d’Edouard Brodeur, mort à 54 ans « raide pauvre ». Qui vendait des pipes de plâtre, le même prix qu’il les payait, en pensant faire de l’argent sur le volume. Qui avait légué la moitié de ses 17 vaches à son fils aîné, Toussaint, et divisé le reste en deux tiers – deux tiers à ses deux autres garçons.

Et on avance, quasi émerveillés comme des enfants, dans le petit monde de Toussaint, beaucoup à travers ces protagonistes que notre esprit se figure sans peine : le richissime mononcle Richard exilé aux États-Unis avec son manteau de fourrure de 900 renards argentés et qui possède plus de bagues que ses doigts ne peuvent en porter, le curé semi-bilingue (régnant sur un parterre qui se demande comment on dit « grilled cheese » en anglais…), Jeannette la sautilleuse joyeuse et sa nuque quatre saisons que son père réserve à l’homme qui aura les mains les plus blanches, le forgeron et ses « gros pecs », Méo le barbier gaucher refoulé, Madame Gélinas et son « set d’utérus » et ses 473 enfants ligaturée des trompes par le Cercle des Fermières, le docteur Cossette non urgentologue, mais « tranquillement-ologue »…

Il y a des petits bouts de pandémie dans La descente aux affaires. Comme quand on évoque la fabrication du pain de Toussaint et la vente phénoménale de rondelles de papier de toilette au village. D’une fournée de levain à l’autre, Toussaint – et ses mains blanches de farine! – mettront la main sur la main de Jeannette. Il y aura aussi des chapelets, des poules, des bijoux, une gageure, une exposition en « boutique ardente » et des chevaux qui ne touchent plus à terre…

Fred Pellerin entrecoupe les différents segments de sa réalité semi-inventée (les fils du « vrai » Toussaint Brodeur ont collaboré à la création… et furent parfois incrédules de leurs propres révélations!) par des extraits de chansons qu’il livre respectueusement à la guitare, à l’accordéon, à l’harmonica, en phase avec son propos. « Les Immortelles », de Jean-Pierre Ferland, « Douleur », de Félix Leclerc, « S’il fallait » de Marjo, « Je m’envolerai », popularisée en français par Daniel Lavoie, « Tu m’aimes-tu? », de Richard Séguin, et « Silence » de son propre répertoire. Sinon, la mise en scène de Fred Pellerin, c’est Fred Pellerin à lui seul, avec ses instruments, ses éclairages parfois colorés, et son verbe bien à lui.

S’extraient de nombreuses et magnifiques leçons de vie de cette Descente aux affaires, qu’on laissera à chacun le soin de déduire. Avec sa candeur mêlée de gravité, la féérie qu’il insuffle à son univers qu’il ne cesse de polir, et sa capacité d’improviser et de rire avec son public captivé, Fred Pellerin relate tout doucement, une fois de plus, qu’il loge à l’enseigne des grands.

Fred Pellerin présente La descente aux affaires en tournée, partout au Québec et ailleurs dans la Francophonie. Toutes les dates sont sur son site web.

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