Après plusieurs soirées de musique effrénée sur les Plaines d'Abraham, les organisateurs du Festival d'été de Québec avaient fait le pari de la douceur et de la sororité en programmant trois têtes d'affiche québécoises, trois femmes. Parmi celles-ci, on retrouvait évidemment la désormais sensation internationale Alexandra Stréliski, pianiste néo-classique ô combien talentueuse, qui nous envoûte de ses formidables mélodies depuis quelques années maintenant. Les festivaliers allaient-ils être réceptifs à cette proposition audacieuse d'un concerto à ciel ouvert? Aidée par la clémence de mère Nature, l'idée s'est avérée lumineuse, alors que le parterre se remplissait progressivement de mélomanes prêts à se laisser imprégner de poésie aux accents symphoniques.
Parce qu'il faut continuer de rêver, garder espoir et s'aimer.
C'est dans un formidable crépuscule et baignée par la lueur d'un croissant de lune qu'Alexandra Stréliski a fait son entrée sur la scène, pour prendre place devant son instrument pour une soirée déjà plus que parfaite, alors que l'orchestre symphonique qui l'accompagnait nous enchantait avec la pièce « The Middle of the World » issue de la trame sonore du film Moonlight.
Les premières notes de la virtuose ont été accompagnées d'un silence souverain, d'une révérence qu'il faisait bon vivre collectivement. Le temps a ralenti. « Bienvenue à la plus grande messe d'hypersensibles du Québec » a lancé la pianiste, nerveuse, qui a confirmé qu'il s'agissait de son plus gros spectacle à vie. Puis, ses notes ont enveloppé le parterre d'une légèreté et d'une douceur, créant un véritable moment de communion au sein des dizaines de milliers de spectateurs qui avaient répondu présents à l'appel.
Impossible de ne pas avoir des frissons, voire quelques larmes, alors que les noires et les blanches du piano virevoltaient dans la moiteur ambiante d'été, accompagnées d'une trentaine de musiciens de l'Orchestre symphonique de Québec, qui enrichissaient largement le récital. La beauté a rapidement atteint des sommets, tandis que la majesté de la proposition drapait les Plaines.
Au programme, des pièces pigées à même les albums Pianoscope, Inscape et Néo-Romance auxquelles s'ajouteraient quelques collaborations. La première fut d'ailleurs celle de Loud, venu slamer, accompagné de cordes, sur « Dans les bois ». « Plus je gagne du terrain, plus je perds le cap », chantait le rappeur, toujours devant une foule complice dans la lenteur. Une très courte apparition qui nous a donné envie d'en voir plus entre ces deux artistes. Sarahmée a été accueillie avec la même dévotion, alors que les mots qu'elle récitait nous rappelaient douloureusement son frère Karim, parti trop tôt « Qu'y a-t-il de plus dur, perdre un frère ou un fils? [...] La mort frappe, mais la vie continue. » Là, le temps s'est arrêté, alors que commençait l'ensorcelante « The Hills ».
« C'est un show de rock en fait », lançait plus tard Alexandra, amusée, à la foule qui l'acclamait entre chaque pièce. Elle a d'ailleurs traversé le parterre pour se rendre sur une scène secondaire, ce qui lui a permis de vivre une marée de lumières mémorable en complicité avec les mélomanes qui l'entouraient, tout en jouant sa composition la plus populaire, « Plus tôt ». C'était avant un hommage au regretté Karl Tremblay et aux Cowboys Fringuants, qui marquaient le FEQ pour toujours à pareille date l'an dernier. Sur la mélodie de « Les étoiles filantes », il était inutile de résister à l'émotion qui nous envahissait tous. Puis, jonglant d'une atmosphère à l'autre, Alexandra a regagné la scène principale en bodysurfant, rien de moins. Quelle épatante et surprenante femme!
Entre les solos parfaits, les envolées symphoniques et les rares mots prononcés avec émotions, cette proposition grandiose était tout ce dont nous avions besoin, comme un baume à tous les maux, une expérience cathartique de tous les instants.
Il faut saluer l'audace des programmateurs du FEQ et le désir devenu réalité d'Alexandra Stréliski, qui nous ont permis de vivre ce moment de grâce, une véritable pépite d'or que nous chérirons au creux de notre coeur pour très longtemps. Avec ses deux premières parties envoûtantes (dont on vous parle ci-dessous), il s'agissait vraiment du spectacle à voir durant cet annuel marathon musical.
En première partie...
Cette soirée différente, plus planante et introspective que ce à quoi le FEQ nous a habitués, a débuté avec Beyries, qui a livré une performance remarquable avec sa voix pure et ses textes inspirés. Les Plaines se garnissaient lentement de curieux alors qu'elle alternait entre le piano et la guitare, mélangeant son répertoire anglophone à ses dernières pièces francophones. Sa douceur a tôt fait d'hypnotiser les mélomanes, qui n'avaient d’yeux (et surtout d'oreilles) que pour elle. Ses deux dernières interprétations, « Je pars à l'autre bout du monde » et « La promesse », ont été un véritable point d'orgue, en dehors du temps, bonifié par la formidable guitare de Simon Pedneault.
Elle avait mis la barre haute pour Elisapie, qui a finalement offert, elle aussi, un sans faute. L'autrice-compositrice-interprète autochtone a proposé plusieurs pièces tirées de son plus récent album, Inuktitut, sur lequel elle reprend dans sa langue des chansons célèbres de grands artistes tels que Blondie, Cyndia Lauper, Fleetwood Mac, Queen et plus encore. Ces pièces qu'elle dit en riant avoir « volée aux blancs » ont complètement ensorcelé les Plaines, tout en rendant hommage aux racines et à la nation de la magnétique artiste.
Les deux femmes ont été phénoménales, rien de moins. Elles ont installé de formidable façon l'une des soirées les plus magiques et uniques que le Festival d'été ait vécues en 56 ans d'existence.