L'humoriste et comédien Aziz Ansari réalise, scénarise et produit Good Fortune, un premier long métrage sympathique qui tente le grand écart entre la comédie ludique et le drame social.
De plus, la vedette des délirantes séries télévisées Master of None et Parks and Recreation y incarne Arj, un homme à tout faire qui tire le diable par la queue. Au bout du rouleau, il est sauvé par un ange (Keanu Reeves) qui semble sortir tout droit du classique It's a Wonderful Life et qui lui permet d'échanger son existence avec celle de Jeff (Seth Rogen), un être fortuné qui passe son temps à s'amuser.
Le rêve américain en prend pour son rhume dans ce film en demi-teinte qui ressemble à un Mini-Wheats. Son côté nutritif interroge les effets du capitalisme, les inégalités entre les classes, les individus qui doivent cumuler plusieurs boulots pour survivre et la difficulté de se syndiquer. On pense sur une note plus légère au livre À pied d'oeuvre de Franck Courtès et au trépidant suspense L'histoire de Souleymane de Boris Lojkine.
Si l'argent ne fait pas le bonheur, il faut toujours garder espoir. Voilà une des morales qui est véhiculée par cette création bien-pensante à la pensée magique, dont le côté Capra réconforte allègrement même si l'ensemble s'avère appuyé. Les 15 dernières minutes, au ton prêchi-prêcha, auront tôt fait d'enfoncer le clou et de rappeler l'importance de la résilience pour les âmes perdues.
Le récit à thèmes fonctionne également comme une simple comédie divertissante. C'est son côté givré qui permet de sortir de sa vie pendant 98 minutes et de passer un bon moment. Pour y arriver, le scénario mise sur un concept éprouvé, en échangeant le corps (ou plutôt ici la situation sociale) de deux individus. Il s'agit d'un énième dérivé de Freaky Friday, quoique, dans le cas qui nous intéresse, le résultat est plus près de la farce culte Trading Places qui mettait en vedette Eddie Murphy.
Si l'on sourit allègrement devant les situations cocasses et ironiques, le vrai rire à gorge déployée se fait plutôt rare. Soit le scénario se retient pour ne pas brimer ses importantes idées sur la solidarité humaine ou soit il y va à fond et devient tout simplement insignifiant. Comme quoi le mélange entre la comédie et le social est tout sauf évident. Cela n'empêche par la chimie entre Aziz Ansari et Seth Rogens de fonctionner allègrement, elle qui a fait ses preuves dans Funny People, Observe and Report et This is the End.
Ce qui élève l'ensemble est la présence de Keanu Reeves. Cet ange au coeur sur la main déambule dans le monde à notre insu, comme ceux du chef-d'oeuvre Les ailes du désir de Wim Wenders. Si une star qui arbore cet être céleste n'est jamais gage de succès (les mauvais souvenirs de John Travolta dans Michael reviennent rapidement en tête), la vedette de John Wick trouve un côté enfantin qui lui va comme un gant. Le voir essayer d'être humain devient une source de plaisir incommensurable.
Film parfait pour combattre le cynisme ambiant, Good Fortune se laisse porter par sa naïveté. Cela n'en fait peut-être pas une comédie exemplaire, mais une agréable sortie aux vues. Pour son premier long métrage, Aziz Ansari sait bien s'entourer, autant devant la caméra (la distribution exemplaire comprend également Keke Palmer de Nope et notre Sandra Oh nationale) que derrière (images soignées du directeur photo de The Last Black Man in San Francisco, musique de circonstance du compositeur fétiche des frères Coen), et sa prochaine création cinématographique risque seulement d'être plus audacieuse, incarnée et, c'est à espérer, drôle.
