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Philippe Falardeau transforme le roman culte en un film drôle, tendre... et angoissant

3.5
Notre critique

Un mariage, mille souvenirs : en une journée condensée comme un vertige, Philippe Falardeau adapte l’excellent roman d’Alain Farah avec humour et sincérité. Mille secrets mille dangers séduit par ses personnages imparfaits et attachants, et confirme le regard sensible d’un cinéaste qui filme le cœur avant tout.

J’avais beaucoup aimé le roman semi-autobiographique d’Alain Farah (2021), où drame et comédie se côtoyaient pour le plus grand plaisir des lecteurs. Un livre d’une grande sincérité, de toute beauté. Le film de Philippe Falardeau est tout aussi authentique, mais davantage sympathique que philosophique.

En hommage à Ulysse de James Joyce, l’action se déroule en 24 heures, un jour de juillet 2007, jour du mariage d’Alain (Neil Elias) et Virginie (Rose-Marie Perreault). On pressent que cette journée devrait être « parfaite » : les tantes libanaises aux petits soins, les parents divorcés qui font l’effort de ne pas se chicaner… Mais c’est tout sauf parfait pour Alain. Envahi d’angoisses, de crises d’anxiété, de la peur de redevenir dépendant des médicaments, mille (!) autres pensées l’assaillent. Et comme si ce n’était pas assez, son cousin Édouard (excellent Hassan Mahbouba) a le don improbable de gâcher et de sauver la journée.

On va se le dire, Alain est assez désagréable. Égocentrique, parfois cruel avec ses proches, il n’en demeure pas moins fascinant. Car on ne sait pas trop pourquoi, mais on s’attache à cet antihéros. Le jeu de Neil Elias y est assurément pour beaucoup : il réussit avec justesse et vulnérabilité à incarner un personnage en constante tension, oscillant entre lucidité et panique, entre humour noir et désarroi existentiel. Rose-Marie Perreault, lumineuse, apporte un contrepoint tendre et solide qui équilibre les débordements d’Alain (et honnêtement, on se demande comment Virginie fait!)

Mais Mille secrets mille dangers ne raconte pas seulement une journée de mariage. Il dresse le portrait d’une génération prise entre mémoire et avenir, entre les fantômes du passé et la promesse de l’amour. En cela, Falardeau livre l’une de ses œuvres les plus personnelles et sensibles. Sa mise en scène, discrète mais attentive, capte les visages et les silences autant que les élans comiques. On y reconnaît son talent de cinéaste pour magnifier la banalité et révéler l’humain derrière chaque détail.

Si Alain Farah avait su rythmer son roman de quelque 500 pages en variant les narrations – première et troisième personnes, conte, allégorie – Philippe Falardeau réussit, lui, à nous faire voyager du présent au passé et du passé au présent avec une élégance remarquable. Bien sûr, plusieurs nuances du livre se perdent dans l’adaptation, mais le film se concentre avec intelligence sur les thèmes les plus porteurs pour l’écran : la famille, l’immigration, la religion, la maladie, le deuil.

Ayant presque le même âge que l’auteur, je m’étais amusée à cadencer ma lecture au rythme des nombreuses références musicales (Radiohead, Jean Leloup, Chemical Brothers…). Bien que la trame sonore de Martin Léon serve efficacement le film, on ne retrouve que très peu cet aspect, ce qui est dommage : ces repères musicaux rythmaient et contextualisaient merveilleusement le roman.

Le roman Mille secrets mille dangers avait été pour moi mille souvenirs, mille réflexions. Le film, lui, m’aura offert quelques fous rires, une galerie de personnages attachants et de beaux souvenirs… de lecture. Mais n’est-ce pas déjà beaucoup?