Ce n'est pas à une histoire simple à laquelle s'est attaqué Mélanie Charbonneau dans Seule au front. Habituée des récits qui mettent en scène des femmes au premier plan, la réalisatrice réussit à transmettre l'injustice qu'a vécue Sandra Perron, véritable première officière du Canada, au cours de sa carrière dans les Forces armées canadiennes. Les hommes sont omniprésents dans le film, le seul personnage féminin d'importance étant Sandra, les autres ne servant qu'à montrer l'isolement du personnage principal dans ce milieu en définitive masculin.
Ce n'est pas tant les dialogues souvent durs qui frappent que les émotions qu'il est possible de lire dans les yeux des comédiens. Nina Kiri, dans le rôle de Sandra, est époustouflante. Antoine Pilon, l'intimidateur principal, est sans surprise très impressionnant, lui qui réussit à s'imposer à l'écran d'un seul regard. Vincent Leclerc, tortionnaire et/ou allié (la ligne est floue dans son cas et ce n'est jamais tranché), navigue bien dans ce spectre.
Bien que le propos du film soit axé sur le parcours de Sandra et sur les injustices qu'elle a vécues, il est parfois difficile de discerner le véritable enjeu du récit. Alors que des photos d'elle lors d'un exercice à un camp d'entraînement menacent d'être publiées dans les médias pour dénoncer la violence d'un supérieur, elle doit se confronter à des hauts-gradés qui l'accusent de vouloir créer une controverse. Hors, Sandra ne croit pas avoir été maltraitée lors de l'exercice et affirme qu'elle n'a pas été traitée différemment de ses confrères masculins par le capitaine Pritchett (Leclerc). Toutefois, la violence subie au quotidien par Sandra aux mains de ses collègues ne sera abordée de front à aucun moment. Au camp d'entraînement, elle se fait lancer toutes sortes d'insultes, se fait ligoter lors d'épreuves pour l'empêcher de continuer, et est constamment sexualisée. Sans doute revendique-t-elle le droit d'être reconnue comme une égale par ses collègues et ses supérieurs, mais à cause du contexte, il paraît parfois difficile à la protagoniste de discerner ce qui est acceptable de ce qui ne l'est pas. Si tous ne vivent pas des discriminations liées à leur genre, la brutalité est omniprésente. Par exemple, lorsque Sandra obtient finalement son grade d'officière, elle se fait mettre la tête de force dans une toilette à plusieurs reprises. On finit par comprendre qu'il s'agit d'une initiation rituelle. Ce qui pourrait être perçu comme une anomalie n'est pas toujours évident, ça se perd au milieu de toute la violence ordinaire de l'environnement.
Là où le film est clair, c'est que Sandra a eu une carrière plus courte que ce qu'elle aurait voulu à cause du manque d'affectations intéressantes et des préjugés sur les femmes, malgré ses compétences avérées. Ce sont les barrières systémiques qui sont plus officiellement critiquées. C'est dommage puisque si elles sont effectivement un obstacle réel, le traitement quotidien que subissent les femmes l'est aussi. On aurait aimé que le film aille plus loin. Il montre, oui, mais ne dénonce pas beaucoup. La vraie Sandra Perron, après son changement de carrière, a fait de réelles choses pour changer les mentalités envers les femmes dans l'armée. Il aurait été intéressant de voir davantage cet activisme en celle qui subit beaucoup dans le film et agit peu.
