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Critique

On ne rit pas Jaune avec l’ex-Chick’n Swell Daniel Grenier

Jaune, de Daniel Grenier

Peut-on s’attendre à autre chose qu’à du « beau gros n’importe quoi » avec le spectacle d’un ex-Chick’n Swell (qui traînera probablement, ne lui en déplaise, le suffixe « ex Chick’n Swell » le restant de sa vie utile sur les planches)? Dans Jaune – ne pas confondre avec le mythique album de Jean-Pierre Ferland –, l’ex-Chick’n Swell Daniel Grenier, donc, nous garroche une bonne dose de « sans queue ni tête », de « con », de « niaiseux », de folie brute… qui fait un bien fou.

Le Club Soda, qui accueillait (avec effusion!) la première montréalaise de ce deuxième one man show en carrière (après J’adore, lancé en 2019) de Daniel Grenier, semblait d’accord avec cette affirmation, mercredi soir. Comme si toute la communauté d’humoristes venue applaudir son vieil ami avait besoin de se déconnecter le cerveau pendant quelques heures et de juste… rire, sans réfléchir, avec ce drôle de moineau à mi-chemin entre l’enfant candide et l’homme mature, avec quelques soupçons de déficience intellectuelle entre les deux. Ou peut-être que le génie frise la folie. L’ADN comique de Grenier se situe sans doute quelque part à un croisement entre ces deux pathologies.

On rigole et on exagère, bien sûr, mais celui qui chante l’évolution de la taille du Grand Héron à la guitare pour nous souhaiter la bienvenue, qui « sculpte » (trop vite) en ballons un chien ou… une fille toute nue, qui s’enrage seul en hurlant les paroles d’une chanson sur « les mortes », qui joue avec des jouets sur scène ou qui, sans crier gare, peut s’éloigner de son micro pour marmonner à lui-même en faisant mine de ranger son petit bordel (des valises pleines de photos loufoques et accessoires jonchent sol et tabourets autour de lui, devant un petit paravent marqué du nom du spectacle), proclame lui-même que sa matière est « n’importe quoi ». « Merci de comprendre mes jokes de malade mental! », salue-t-il à la fin de sa prestation, avant de s’éclipser. Ça dit tout!

Voilà donc ce à quoi ressemble Jaune, enchaînement de minis numéros complètement décousus mais qui recèlent quand même une certaine logique. On imagine sans peine la quantité de travail nécessaire pour arriver à ce que vignettes aussi courtes, sans lien apparent, s’enchaînent aussi efficacement, aussi fluidement, sans rupture de ton, sans brisure de rythme. Ça paraît ridiculement improvisé, et c’est souvent quand une proposition du style a l’air la plus bâclée qu’elle est le plus fignolée. Parole d’un dinosaure de plastique qui hurle la lettre de l’alphabet préférée de notre hôte (« Aaahhh! »)...

Bien sûr que Daniel Grenier ne dit pas grand-chose de consistant, mais Jaune est drôle par l’absurde et désarme par l’inattendu, dans un concept très visuel et sonore (avec bouts de chansons, bruitage, effets de toutes sortes) rappelant presque parfois le théâtre de marionnettes. Son univers volontairement enfantin tire vraiment dans tous les sens : d’une « joke de Code QR » aux images composant un rébus et aux insultes proférées à une poupée, il est question de porc effiloché, de pouding chômeur versus un « pouding qui travaille », d’une amie qui a le cancer des testicules, d’un masque et d’une trachéo, d’un tueur « pas souvent en séries » (avec un chandail des Canadiens), du logo de Desjardins qui s’est lui aussi fait voler ses données, de la sagesse de sa maman de 87 ans qui philosophe sur notre besoin de contrôle, nous qui contrôlons à peine nos sphincters… Bref, voyez le genre. Ça se termine d’une manière toute américaine au son de « Take Me Home, Country Roads ».

Dans ses rares moments de lucidité complète, Grenier peut nous entretenir du chroniqueur circulation à Salut Bonjour, qui, lui, était considéré comme « essentiel » pendant la pandémie, ou de l’ironie des ordinateurs qui nous demandent de prouver qu’on n’est pas des robots. Et quand notre hurluberlu tente ici et là un clin d’oeil à son ancienne vie des Chicks, la salle est en liesse.

En première partie, Claude Crest, cet alter ego de Maxime Gervais, du trio Les Pic-Bois, nous a donné hâte à son premier spectacle complet. Fausse légende de l’humour de 92 ans, Claude Crest nous détaille à sa façon l’évolution du show-business québécois, se rappelant avec nostalgie l’époque bénie où la Souris Verte était « s’a’ crème de menthe », et Fanfreluche, « sur le Perrier-cocaïne ». Son segment de mercredi n’était pas toujours tordant, mais ô combien prometteur, ça, oui.

Daniel Grenier présentera Jaune en tournée partout au Québec dans la prochaine année. Consultez son site web pour toutes les dates.

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