Que se passe-t-il avec Darren Aronofsky? Il y a une période pas si lointaine, le cinéaste réalisait avec Black Swan et Requiem for a Dream quelques-unes des fresques les plus importantes du septième art américain contemporain. Il a toutefois perdu de son lustre ces dernières années, offrant des productions maniérées qui étaient indignes de son talent. Cela ne s'arrange pas avec Caught Stealing qui a tout du film de commande.
Cette adaptation du livre de Charlie Huston qui est scénarisé par l'écrivain lui-même suit les tribulations de Hank (Austin Butler), un amateur de baseball traumatisé par son passé qui est plongé dans des aventures incroyables. La mafia russe et des frères hassidiques sont prêts à lui faire la peau afin de retrouver une clé accédant à une véritable fortune. Mais peut-être que cet argent lui permettra de renaître de ses cendres et donner un nouveau sens à son existence.
Le récit doit beaucoup au cinéma de Guy Ritchie. On y retrouve la même énergie musclée et punk qui constituait Lock, Stock and Two Smoking Barrels, tandis que les personnages colorés semblent provenir de Snatch, accents délirants en sus. L'influence des frères Coen se fait également ressentir. Un chat confié à l'antihéros scellera son destin comme dans Inside Llewyn Davis et son entrée dans un univers absurde marqué par des décès soudains et brutaux, rappelle Fargo. Pour l'originalité, on repassera.
Si l'effort se veut distrayant comme divertissement léger à usage unique, surtout quand l'action prend le dessus dans la dernière ligne droite, il n'offre finalement pas grand-chose de nutritif en retour. Le mélange de genres qui va de la comédie noire au drame traumatique avant d'exploser dans la violence gratuite manque de finition. Qui ne fait pas du cinéma coréen qui veut. Les ruptures de ton laissent à désirer, le rythme s'avère trop souvent instable et les rebondissements sont aussi télégraphiés que l'intrigue.
Bien que le cinéaste renoue avec le thème de l'addiction (ici l'alcool) qui cimente son oeuvre, il semble par sa mise en scène bien huilée, mais anonyme étranger à son film. Ce ne sont pas les séances de beuveries ou de combats qui l'intéresse, mais suivre ses personnages déambuler dans la Grosse Pomme. Sa caméra saisit avec moult détails le New York de la fin des années 90: d'abord le Lower East Side crade de Manhattan, mais également Flushing Meadows dans Queens et, évidemment, Coney Island dans le fond de Brooklyn, avant de conclure le tout dans un bain de sang juste à côté à Brighton Beach. La caméra du fidèle complice Matthew Libatique est généreuse, laissant imaginer ce qu'aurait pu ressembler le long métrage s'il s'était davantage inspiré d'Anora (car toute la seconde partie est assez similaire, dont la présence de Griffin Dunn au générique, héros inoubliable du After Hours de Martin Scorsese et influence indéniable sur la création oscarisée de Sean Baker).
S'ils ne gagneront pas d'oscars ou ne recevront probablement pas de nominations, comme les protagonistes de Black Swan, The Wrestler et The Whale (les trois autres réalisations dont Aronofsky n'a pas signé le scénario), les acteurs qui composent le récit possèdent tous la gueule de l'emploi. Impossible d'échapper au charme et au charisme d'Austin Butler qui la joue plus que jamais jeune Marlon Brando. Sa chimie avec Zoë Kravitz se veut érotique et plutôt convaincante. À l'autre bout de l'échiquier se trouve l'épatante Regina King en détective accommodante, Liev Schreiber et Vincent D'Onofrio en hilarants frangins juifs, et le rappeur Benito A Martinez Ocasio qui émule à la fois Adam Sandler dans Uncut Gems et John Turturro dans The Big Lebowski.
Caught Stealing s'apparente à un pas de côté pour son réalisateur. Il avait sans doute besoin de relâcher la tension après quelques échecs prétentieux. Dommage que le résultat ludique ne soit pas plus amusant ou singulier, ressemblant à tout sauf à un film de Darren Aronofsky. Peut-être que cela lui permettra de retrouver ses moyens en attendant de développer un nouveau cycle créatif, renouant ainsi avec Paul Thomas Anderson, Christopher Nolan et James Gray au sommet des meilleurs cinéastes américains de sa génération. Il serait temps, car son errance dure depuis une décennie.


