Virginie DeChamplain, dont le premier roman Les falaises (La Peuplade, 2020) a rayonné par-delà nos frontières, nous revient en ce début de printemps avec un petit nouveau, Avant de brûler (La Peuplade), qui délaisse quelque peu les rives du fleuve Saint-Laurent pour se réfugier dans la forêt. L'eau (et le territoire au sens large) reste toutefois un thème central dans la deuxième oeuvre de cette autrice d'origine rimouskoise.
Se déroulant dans ce qu'on peut imaginer un futur proche, c'est la voix de la narratrice, habitante de cette forêt, qui construit sa propre histoire et celle des personnages qui vivent avec elle. Réfugiée avec Marco dans une grande maison éloignée de la civilisation, elle fait le deuil de sa conjointe, disparue dans les Déluges, lorsque l'eau est venue engloutir tout ce qu'il y avait sur le rivage incluant leur maison, leur relation et leurs rêves. Menant depuis quelques années une vie de reclus, le duo vit de petits travaux au village, des économies de la narratrice et des récoltes sauvages et appâts de cette dernière. Un jour arrivent Farah et ses enfants, qui ne parlent pas leur langue, mais avec lesquels ils formeront une connexion indispensable à leur épanouissement.
La narratrice, une autrice qui a déjà eu du succès, mais qui n'écrit plus professionnellement depuis longtemps, invente des vies à Farah. Tantôt célibataire endurcie, tantôt professeure d'université, parfois journaliste à New York ou sommité du monde scientifique réduite au silence par le gouvernement, sinon pêcheuse. C'est par ce canal que son histoire se révèle au lecteur, ou du moins sa créativité, vestige de sa vie d'avant qui repose maintenant dans un endroit invivable : « J'habite dans la vie d'aujourd'hui, peuplée de la vie d'autrefois. » (p. 109)
Autour de cette maison qui devient progressivement un havre, la nature grouille. De flore d'abord, qui triomphe sous l'effet de la chaleur toujours plus hâtive au printemps, et de faune ensuite, notamment une biche qui deviendra le reflet de la crainte de celle qui nous parle. Alors que les changements climatiques sont bien avancés, que l'eau menace d'un côté et le feu de l'autre, la narratrice navigue entre le connu et l'inconnu, s'invente ce qu'elle est maintenant à partir de ce qu'elle aurait aimé devenir, avant les Déluges.
La prose orale et la poésie se mélangent doucement, miroitant l'identité aérienne et insaisissable de la narratrice : elle y touche presque, du bout des doigts. Si la voix est moins poignante que dans Les falaises, Virginie DeChamplain nous sert tout de même une autre magnifique ode à la beauté de la nature, à notre fragilité devant sa puissance et à notre dépendance aux écosystèmes, incluant ceux que nous formons avec nos pairs.
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