Il faut le dire : il n'y a eu que très peu de place cette année aux Jutra pour les films « grand public ». Certaines des oeuvres les plus populaires de l'année au box-office n'ont pas été retenues - ou très peu - par l'industrie. François Bouvier et Ricardo Trogi, réalisateurs des films Paul à Québec et Le mirage, ont exprimé publiquement leur mécontentement. « C'est à la fois une grande déception et une leçon d'humilité », a dit Bouvier en entrevue avec La Presse.
Trogi a, pour sa part, été plutôt diplomate. « Si le vote des responsables aboutit avec le résultat qu'on connaît, ben that's it! Est-ce que je suis déçu? Bien sûr. Comme tous les autres qui ne sont pas nommés, j'imagine. C'est normal. Mais je ne commencerai pas à me plaindre parce que je ne suis pas dans la course », a-t-il avancé lors d'un entretien avec La Presse.
Hugo Dumas a écrit un article incendiaire samedi dernier à propos des choix des décideurs qui offrent « une vitrine «exceptionnelle» à cette fournée de films d'auteur », négligeant ainsi les films plus populaires. Celui-ci - dont vous pouvez découvrir des extraits ci-dessous - a engendré (ou réveillé) une controverse dans le monde du cinéma au Québec.
« En snobant à peu près tout ce qui a fonctionné au box-office, l'académie des Jutra ne s'est vraiment pas aidée et n'a pas non plus aidé son gala, qui risque de subir le même sort que celui des Masques. Ça frôle l'autosabotage », écrivait-il.
« Le message que le comité des Jutra envoie aux gens du public ressemble, grosso modo, à celui-ci: les films que vous avez aimés cette année, comme Paul à Québec ou Le mirage (loin d'être des navets, soit dit en passant), eh bien, ils ne sont pas bons. »
« Vous le savez, aller au cinéma coûte de plus en plus cher. Je peux parfaitement comprendre que des cinéphiles, après une grosse semaine de boulot et d'obligations familiales, optent pour un Star Wars au détriment d'un Félix et Meira, par exemple. On n'a pas nécessairement le goût, par un beau vendredi soir de printemps, de ressortir d'une salle de cinéma avec des idées suicidaires en noir et blanc et en gros plan », avance le journaliste de La Presse.
Un regroupement de cinq réalisateurs dont les films ont été sélectionnés aux Jutra cette année (Mathieu Denis, Anne Émond, Maxime Giroux, Philippe Lesage et Léa Pool) ont rédigé une lettre ouverte dans La Presse afin de répondre aux assomptions de Dumas.
« Nos sujets vous dépriment ? Ils ne font pourtant que se pencher sur des pans de la vie que vous, nous et le public québécois vivons tous, collectivement. Le vrai scandale ne se trouve pas dans le type de cinéma qu'un jury a choisi de plébisciter, mais dans l'incroyable mépris que vous et certains chroniqueurs affichez pour le public québécois, en prétendant qu'il ne peut pas apprécier des films comme les nôtres », ont-ils déclaré via cette missive, tout aussi enflammée que l'article original.
« Vous voulez diviser les artisans de notre cinéma (« auteurs » c. « populaires ») et convaincre vos lecteurs que le milieu du cinéma québécois méprise leurs goûts, ce qui ne saurait être plus faux. »
Marc-André Lussier, aussi journaliste à La Presse, s'est également exprimé sur son blogue, défendant les choix de l'Académie. « Faisant partie de ceux qui ont vu les cinq longs métrages en lice cette année pour le Jutra du meilleur film (Corbo, Les démons, Les êtres chers, Félix et Meira, La passion d'Augustine) je peux affirmer qu'aucun d'entre eux n'a volé sa place. Même si, pour toutes sortes de raison (de diffusion notamment), ils n'ont pas pu joindre le grand public. Personnellement, j'aurais sans doute fait des choix différents, mais cette liste-là demeure hautement défendable. »
« Et je dis bravo à tous ces artisans qui, depuis lundi, n'ont pas eu l'occasion de savourer leur accolade plus de deux secondes, empêtrés qu'ils sont dans une polémique stérile et profondément inutile. »
Voyez toutes les nominations des Jutra 2016 ici.
Précisons que Ségolène Roederer, directrice générale de l'organisme Québec Cinéma, qui gère le gala des Jutra, a précisé que, dès l'an prochain, de nouvelles catégories seront ajoutées à la sélection pour répondre à un nombre croissant de productions cinématographiques diversifiées créées au Québec.